Ces derniers jours, les médias bruissent d’une rumeur affreuse : Horreur! le pape Benoît XVI a confirmé hier la publication d’un motu proprio (décret du Vatican) libéralisant la messe en latin, dite Tridentine, ou selon le rite de Saint Pie V. Cette mesure a pour but d’interpréter le « Missel » promulgué en 1962 par son prédécesseur Jean XXIII en plein concile Vatican II. Il l’a expliquée hier aux conférences épiscopales.
Le titre de cette dépêche AFP trouvée sur le site de La Croix est à ce titre édifiante : Le pape réhabilite la messe en latin réclamée par les intégristes. Tout à l’heure, BFM-TV parlait du retour d’une « messe abandonnée depuis 40 ans ». Et passait à tour de bras des images de l’église parisienne et lefèbvriste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
Que de caricatures! Que de clichés! Que de conformisme dans la couverture de l’information religieuse. Il ne s’agit pas de faire ici la promotion de la messe en latin, entendons-nous bien. Juste de rétablir quelques vérités sur le contexte.
Contrairement à ce que pense le commun des mortels, influencé par des médias largement ignorants des questions religieuses, la messe en latin n’était pas interdite jusqu’ici. En réalité, le rite dit de Saint Pie V est utilisé à la fois par les disciples de l’évêque schismatique Mgr Lefèbvre (des Chrétiens communément appelés « intégristes ») et par des catholiques fidèles à Rome (nommés traditionnalistes). Ce rite diffère non seulement par la langue, mais également et surtout par la liturgie utilisée. Le prêtre célèbre la messe dos aux fidèles. La philosophie n’est absolument pas la même. Mais la grande hypocrisie des médias consiste justement , sur cette question, à jeter la confusion sur la différence qui existe entre « intégristes » et « traditionnalistes ».
Devant le risque de division des catholiques, Jean-Paul II avait publié un précédant Motu Proprio en 1988, appelé « Ecclesia Dei », qui rappelait l’excommunication de fait des évêques de la Fraternité Saint Pie X et autorisait la célébration de la messe de Saint Pie V sous réserve, dans chaque diocèse, d’une dispense épiscopale :
« À tous les fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine, je désire aussi manifester ma volonté — à laquelle je demande que s’associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l’Église — de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations. »
Une mesure qui n’a pas été respectée par la plupart des évêques français, qui ont ainsi jeté dans les bras des dits « intégristes » toute une foule de catholiques déçus de l’Eglise classique, dénoncée comme molle, sectaire et intolérante. Mais après tout, quel crime avaient-ils commis, si ce n’est celui de penser différemment? D’être attachés, comme l’écrivait Jean-Paul II, à « certaines formes liturgiques antérieures de la tradition latine »?
Les choses sont d’ailleurs à cet égard beaucoup plus compliquées que l’on veut nous le faire croire. Pour illustrer cette complexité, sachez qu’il existe également une traduction latine du rite Paul VI (utilisé en français dans la quasi-unanimité des églises françaises). Célebrée dos au peuple, ou pas. Le probème, c’est que dans un reportage de deux minutes trente, on n’a pas le temps d’expliquer tout cela. Et a fortiori si on l’ignore.
Il y a quelques semaines, on avait pu voir dans de nombreux reportages consacrés à cette question des prêtres affirmant que jamais ils n’accepteraient d’être obligés de célébrer la messe en latin. Quel cliché! Aucun prêtre ne sera contraint. L’idée de cette mesure, d’après ce qu’on en sait pour l’instant, c’est de laisser les catholiques libres de leur choix.
L’agence Zénith nous en dit d’ailleurs un peu plus sur le contenu probable du décret :
» La lettre personnelle du pape expliquerait, selon certaines sources, « la grande richesse » de la tradition liturgique latin et supprimerait la nécessité d’une dispense de l’évêque avant une célébration en latin dans le rite saint Pie V. Il suffira qu’une assemblée rassemble 30 fidèles pour que la célébration selon le rite préconciliaire soit possible.
Par cette publication concernant la liturgie eucharistique, le pape Benoît XVI souhaite contribuer à guérir les blessures suscitées par certaines mises en œuvre de la réforme liturgique conciliaire. Mais cela ne signifie en aucune façon accorder des concessions aux contestataires de l’enseignement du concile, en particulier en matière d’œcuménisme et de dialogue interreligieux. »
Autrement dit, le décret ne remet absolument pas en cause le caractère schismatique du lefèbvrisme. Au sein de la fraternité Saint Pie X, il existe depuis quelques années une frange « radicale » et une frange partisane d’un rapprochement avec Rome. Tout ceci signifie bien sûr que derrière ce Motu Proprio, il y a une volonté d’apaisement et d’unité des Chrétiens. Ce qui ne veut pas dire que les Lefèbvristes, comme on peut le lire ici ou là, vont prendre le pouvoir à Rome. La plupart d’entre eux refuseront d’ailleurs probablement de rallier le Vatican, qu’ils considèrent comme l’Antéchrist.
Sur le contenu précis du Motu Proprio en question, on devrait en savoir d’avantage autour du 7 juillet, selon une information du quotidien allemand Die Welt relayée là encore par l’agence Zénith.