Archives de Catégorie: Institutions

La prison à perpétuité est-elle inhumaine?

prison2C’est en substance la question que n’ont pas arrêté de poser, tout au long de la cavale incroyable des deux évadés de Moulins, la mère d’un des deux fugitifs, Christophe Khider, ainsi que l’Observatoire international des prisons, par la voix du président de sa branche française, Gabriel Mouesca, qui a passé lui-même 17 années de sa vie derrière les barreaux.

A les entendre, Khider et son complice El-Hadj, tous deux condamnés pour des braquages violents (l’un a tué de sang-froid un otage, l’autre a ouvert le feu à la Kalachnikov sur la police), se sont transformés en victimes d’une société inhumaine pour ses détenus dits « particulièrement surveillés ». On croit rêver : on devrait plaindre ces types ultra-violents, qui ont pris cinq personnes en otage au cours de leur cavale, et qui ont frappé l’un d’eux, un homme de 65 ans, et qui auraient tiré sur la police s’ils en avaient eu l’occasion? Lire la suite

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Le juge Fabrice Burgaud est-il un bouc émissaire?

burgaudC’est lui-même qui pose la question, et qui répond par l’affirmative. Fabrice Burgaud l’a dit ce matin, à quelques heures du début de son audience devant le Conseil supérieur de la magistrature, qui doit se pencher pendant une semaine sur la responsabilité de l’ancien juge d’instruction de Boulogne-sur-Mer dans le fiasco d’Outreau : « C’est profondément injuste, je ne devrais pas être là, on fait de moi un bouc émissaire, une victime expiatoire pour sauver l’institution », a-t-il dit dans une interview dont a fait état Europe 1 sans toutefois diffuser l’enregistrement. Lire la suite

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Faire taire les manifestants sur le passage de Sa Majesté Sarkozy

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Le préfet et le directeur départemental de la sécurité publique de la Manche

Nicolas Sarkozy assure donc avoir entendu les 1 à 2,5 millions de personnes qui ont défilé hier dans les rues de France pour manifester leur trop plein de mécontentement, à l’heure de la crise mondiale. Le président de la République, qui  s’oblige à « un devoir d’écoute, de dialogue » tout en répétant être habité par « une  grande détermination à agir », propose aux syndicats de les rencontrer en février pour examiner les réformes prévues pour 2009.

Dialogue social? Ne nous méprenons pas. Car au même instant, on apprend que le préfet (Jean Charbonniaud) et le directeur départemental de la Sécurité publique (Philippe Bourgade) de la Manche seront mutés pour avoir laissé, ô crime honteux, des manifestants se faire entendre lors de la visite présidentielle à St-Lô, le 12 janvier, pour une cérémonie des voeux aux enseignants décentralisée. Des pierres ont elles été lancées sur l’oint de Dieu? Le descendant des Bourbons a-t-il été entarté? Le président-monarque a-t-il fait l’objet de quolibets, des affrontements se sont-ils produits, sur son passage, entre manifestants et policiers? Lire la suite

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Chahut à l’assemblée : lisez plutôt les blogs

Une nouvelle fois, les blogs montrent, je trouve, leur supériorité à analyser et décrypter un phénomène politique. Si vous voulez en savoir plus sur le chahut (on aurait pu dire aussi tohu-bohu, qui est un très joli mot) observé hier à l’assemblée nationale – qui examine en ce moment un projet de loi organique visant à réformer le droit d’amendement (et limiter l’obstruction) des textes de loi par les parlementaires – ne vous contentez pas de lire les médias papier ou en ligne, qui traitent très superficiellement de ce sujet, se contentant d’un récit factuel des choses, agrémenté de quelques citations de députés. On en sait beaucoup sur le comment, mais peu sur le pourquoi. Lire la suite

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Pourquoi il faut se méfier des chiffres de la délinquance

Lille, manifs anti-CPE (2006)

Lille, manifs anti-CPE (2006)

Chaque année, une fois que la sempiternelle (et pénible) tradition des voeux s’achève, une autre commence : le bal des chiffres de la délinquance de l’année passée. D’abord au niveau national, pour contenter l’égo du ministre, ensuite dans chaque département, pour satisfaire l’égo du préfet, et enfin, dans chaque commissariat. Si personne ne prend véritablement ces chiffres au sérieux, ils indiquent néanmoins une tendance qui a une influence « globale » sur l’opinion publique. Une tendance, pas un résultat fiable, tant les chiffres sont lissés à tous les niveaux.

On ne peut pas véritablement parler de fraude, de maquillage ou de triche organisée, ce serait excessif. En revanche la façon dont est organisé le système doit inciter celui qui consulte les chiffres de la délinquance avec grande circonspection. Lire la suite

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Suppression du juge d’instruction : une grave atteinte à la séparation des pouvoirs

Jusqu’à hier après-midi, j’étais persuadé que Nicolas Sarkozy n’oserait pas, et j’ai attendu avant d’affûter mes armes. Impossible. L’information du Monde.fr, datant de mardi, et assurant que le président s’apprêtait à supprimer la fonction de juge d’instruction pour confier ses missions au parquet, ne pouvait pas être vraie! C’était trop caricatural!

Eh bien si. C’est d’ailleurs officiel. Le président bien-aimé de tous les Français a confirmé cette intention, hier, au cours de l’audience solennelle de rentrée de la cour de Cassation, la plus haute juridiction civile française. Son discours est ici, si vous parvenez à retenir votre agacement jusqu’au bout, tant l’hypocrisie du chef de l’Etat est patente. En est-ce fini de la séparation des pouvoirs, gage des libertés publiques selon Montesquieu? Lire la suite

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Justice répressive contre les mineurs, vraiment?

Parfois, je me demande si on vit dans le même monde, ou si les juges et militants associatifs n’ont pas un prisme social déformant qui leur fait voir uniquement ce qu’ils ont envie de voir, ou ce que leur idéologie leur dicte de voir.

J’ai bondi, hier, en lisant cet article résumant les craintes de ces honnêtes gens, qui à l’occasion des journées nationales prison, s’inquiètent de voir la justice devenir de plus en plus répressive à l’égard des mineurs.

Sans blague! Je vous le donne en mille. « L’idée du mineur que l’on veut faire passer, c’est celle du multirécidiviste », explique Claude Doyen, vice-présidente du tribunal pour enfant du TGI de Strasbourg, alors que « le juge pour enfants ne revoit quasiment jamais la plupart des mineurs pour lesquels il est saisi ».

Ajoutons que « selon des chiffres du ministère de la Justice, 673 mineurs sont actuellement incarcérés en France, pour un total de 1.100 places disponibles ».

673 mineurs détenus en France, alors qu’il y a un potentiel d’un peu moins du double, est-ce un scandale? Et cette juge, ignore-t-elle, ou fait-elle exprès d’ignorer que s’il existe à l’évidence une écrasante majorité de mineurs (passez-moi l’expression) qui se tiennent tranquilles, une petite minorité d’entre eux sont des ultra-récidivistes de la violence de rue, qui sont certains d’échapper à toute sanction jusqu’à leur majorité?

Mon travail me fait cotoyer de près les questions de délinquance. Et des mineurs arrêtés pour des délits graves, et qui sont relâchés et remis à leurs parents en dépit de tout bon sens, c’est hebdomadaire. Sans même que le juge soit saisi, d’ailleurs! Je vais prendre deux exemples concrets survenus récemment dans le Nord.

Le premier, c’est le cas d’un mineur de 12 ans, qui s’est fait arrêter en compagnie de cinq ou six voyous après qu’un étudiant a été rossé de coups… dans l’unique objectif de lui piquer son iPod et ses lunettes. L’étudiant a été jeté à terre et a reçu des coups de pieds au visage de la part de toute une bande d’individus. Nez cassé, c’est dire. Dans les heures qui ont suivi, la police a arrêté des suspects qui traînaient encore dans le coin, et qui correspondaient au signalement donné par l’étudiant. Parmi eux, ce gamin de 12 ans, sur lequel sont retrouvés les lunettes. Il est désigné par l’étudiant comme par ses amis comme étant le « meneur » de la bande. Eh bien non seulement il ne sera pas placé en garde à vue (c’ets interdit en-dessous de 13 ans), mais il sera remis à ses parents le soir-même, sans même être « déferé » au parquet des mineurs, qui de toutes façons, l’aurait relâché.

Elle est où, la réponse judiciaire, dans ce genre de cas?

Deuxième exemple, qui correspond mieux au problème de la délinquance des mineurs. Un ado de 14 ans, dont la fiche de délinquance déborde d’un écran d’ordinateur, est arrêté pour avoir racketté plusieurs collégiens. On lui reproche également des vols à l’arraché, et il a déjà été pris il y a quelques mois pour avoir organisé avec des amis un ingénieux système de vols de portables avec violences : juchés sur des vélos, ils attendaient leur proie avant de fondre sur elle et d’arracher le téléphone. Plus grave, le père d’un des élèves rackettés, qui avait porté plainte, a été menacé avec un revolver par ce jeune homme.

Que croyez-vous qu’il lui est arrivé? Lui, il sera déféré au parquet des mineurs. Séance de gros yeux, et ni une ni deux, remise de l’enfant (parce que c’en est un) aux parents. Rendez-vous dans trois mois pour passer devant le juge des enfants, qui le mettra en examen et envisagera une mesure éducative.

Elle est où, là encore, la réponse judiciaire? C’est bien simple : elle n’existe pas. Comme lui, nombre de gamins vont de convocation en convocation, et entre les deux, continuent leur parcours délictuel sans le moindre problème. Ils peuvent même rire au nez des policiers, en garde à vue : ils connaissent très bien la législation et savent que jusqu’à leurs 18 ans, l’impunité leur est garantie. Ils sont donc tranquilles.

Sauf cas extrême, bien sûr. Mais une fois qu’on en arrive à des délits très graves, ou à des crimes, n’est-il pas déjà trop tard? Lorsque ces mineurs auront 18 ans, et qu’ils écoperont d’une peine plancher qui les remerciera pour l’ensemble de leur oeuvre, ils partiront pour deux, trois ans de prison ferme, et leur vie sera mal partie. Ne serait-ce pas plus intelligent, pour la société comme pour eux, d’intervenir plus tôt?

Cette juge des enfants décrit sans doute la réalité lorsqu’elle dit que la plupart ne récidivent pas.

Oui, mais les autres? Que fait-on, pour eux, qui vivent dans des conditions déplorables, dont les grands frères sont truands et dont les parents sont absents ou trop fragiles pour les éduquer correctement?

Que fait-on pour eux, alors que dans les foyers de placement pour mineurs, la victime cotoie le délinquant (considéré comme victime), qui lui-même cotoie le psychopathe dont les établissements spécialisés ne veulent plus?

L’ordonnance de 1945 privilégie l’éducatif sur le répressif, et c’est tant mieux. Mais il y a un moment où on doit arrêter de prendre les mineurs pour des saintes nitouches, et leur coller une bonne vieille sanction, qui ne doit d’ailleurs pas forcément être la prison.  Une séance de ramassage de feuilles mortes, peut-être?

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Sifflets, assimilation et échec du multiculturalisme

Ce n’est pas la première fois, mais les sifflets entendus hier au stade de France en provenance des supporters français de l’équipe tunisienne de football, à la fois contre la Marseillaise, les Bleus et le pauvre Hatem Ben Arfa me font mal, très mal. Ils ne savent pas ce qu’ils font, mais faut-il leur pardonner?

La fois dernière, il s’agissait de France-Maroc, il y a quasiment un an, en novembre 2007. Et je cherchais vainement des explications sociales à cette véritable honte. Une honte, parce que ces Français issus de l’immigration tunisienne sont peut-être des déracinés, et l’Etat n’a peut-être pas tout fait pour leur faciliter la tâche, mais la France reste leur patrie d’adoption à laquelle ils doivent un minimum de respect. Soutenir la Tunisie est leur droit le plus strict, mais s’ils crachent sur le drapeau bleu-blanc-rouge et la Marseillaise, je leur suggère cette alternative : soit demander l’asile politique en Tunisie, pays que manifestement ils préfèrent, soit rester en France en demandant la nationalité Tunisienne.

Sur ce sujet, les bornes sont franchies et on ne peut plus se contenter de parler de simple problème d’éducation, de politesse, ou peut-être tout simplement de mimétisme (les sifflets pouvant devenir un jeu), même si ces trois aspects sont présents dans cette crise.

Hatem Ben Arfa, né Tunisien mais qui a choisi le maillot bleu, a été lui aussi copieusement sifflé et qu’en dit-il? « On l’avait vu contre le Maroc et l’Algérie, on va dire que c’est devenu une habitude même si je ne sais pas s’ils le pensent vraiment. Mais je ne leur en veux pas vraiment. C’est un peu dommage mais ce n’est pas grave. Il y avait plus de Tunisiens que de Français, il faut les comprendre. C’est sûr que c’est bête mais du moment qu’il y avait du spectacle et que tout le monde s’est fait plaisir, ce n’est pas le plus important? C’était un match important pour la communauté tunisienne et française pour qu’elles se rassemblent, a ajouté le joueur de Marseille. Pour moi, c’était une fierté. »

On peut applaudir à sa compréhension et sa nuance, mais ce genre d’opinion n’est-il pas totalement à côté de la plaque, angélique, voire aveugle? Est-ce « vraiment le plus important », que la France ait gagné et qu’il y ait eu du spectacle? Les communautés se sont-elles vraiment « rassemblées »? Peut-on parle de « fierté », ou plutôt de honte?

Cette fois, comme Criticus, je ne peux que me résoudre à l’évidence : il y a un gros problème avec la notion de nationalité dans notre pays, qui n’est plus du tout intégrateur mais qui accole les communautés les unes à côtés des autres sans chercher à leur trouver un but commun. Ce n’est pas un problème social, puisque jusqu’à preuve du contraire, on n’a jamais vu des RMIstes dits « de souche » (terme vraiment peu adéquat, mais je n’en ai pas d’autres) siffler la Marseillaise.

La faute, pour moi, est toute trouvée : on a voulu flatter les origines des immigrés, dans les années 80, et créer des « Beurs », des « Maghrébins de France », ce qui est une hérésie totale : soit ils sont maghrébins, soit ils sont Français. Pas les deux. Qu’es-ce que ça veut dire, « Beur »? Parle-t-on de Pollack ou de Rital? Parle-t-on de « Breton du Nord »?

C’est cette schyzophrénie, orchestrée par des mouvements comme SOS-Racisme avec la complicité objective du PS et de la gauche, trop heureux de s’assurer le vote d’une minorité importante et ainsi créer de toutes pièces le Front national, épine qui restera longtemps dans le pied de la droite. qui est à l’origine de cette situation.

Résultat : la communauté nationale est aujourd’hui fracturée (les communautés asiatiques ne sont pas moins renfermées sur elles-mêmes, d’ailleurs), et les identitaires extrémistes reprennent du poil de la bête en se faisant passer pour de gentils défenseurs de la culture locale.

On court au conflit, et au conflit armé, c’est une évidence : déjà, les politiques marchent sur des oeufs dès qu’ils pénètrent dans les cités, dont on achète le silence à coups de subventions. Les insultes du type « sale Français » se multiplient, et je ne vois pas comment on va passer à côté d’une nouvelle crise majeure.

Dès lors, que faire? Si je partage son diagnostic, je n’agrée pas à la conclusion de Criticus, qui propose de créer une forme de « nationalité au mérite », qui récompenserait de la carte d’identité ceux qui s’en sont montrés dignes, qu’ils soient de souche ou  pas. Si l’idée est séduisante, elle me semble impraticable dans les faits. Quels seraient les critères, la méthodologie utilisée? Et surtout, la nationalité n’est-elle pas un fait, plus qu’une récompense à gagner? Je suis Français, parce que je suis comme ci ou comme ça, pas parce que je suis né quelque part ou que j’ai été gentil à l’école.

Comme Rubin Sfadj, je crois donc plutôt à une relance du modèle assimilationniste, qui seul peut permettre de créer une communauté soudée. Les tests de langue pour acquérir la nationalité vont dès lors dans le bon sens, même si ce n’est pas suffisant. Contrairement à ce que nous ont fait croire les chimères gauchisantes, une société homogène n’est pas forcément synonyme de renfermement sur soi. Car ne pas accorder la nationalité, ce n’est pas rejetter l’autre, c’est le considérer tout bonnement comme ce qu’il est : un autre. Et une société éclatée ou multiculturelle n’est pas ce paradis qu’on nous a fait miroiter, où le steak-frites se mélange au nem et au couscous pour le plus grand plaisir des papilles et le plus grand bonheur de tous.

EDIT : La décision annoncée par le gouvernement, de pure communication, d’interrompre les matches en cas de sifflets de l’hymne national est doublement contestable : d’une part parce qu’elle n’est pas applicable (au niveau sécurité, et puis parce que ce serait injuste), d’autre part, parce que cette annonce permet surtout d’éluder le fond du problème. J’entendais hier soir Roselyne Bachelot sur France 2 : je ne l’ai pas entendu parler de politique d’intégration ou de politique familiale.

Lire aussi, à ce sujet, la réflexion de Malakine.

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Economie : que dit la doctrine sociale de l’Eglise?

Je ne comprends pas grand-chose en économie, science complexe qui nous gouverne tous alors même qu’il n’est pas facile de l’appréhender. Et pourtant, quand on réfléchit à l’instinct, et qu’on essaie d’analyser la situation actuelle d’un point de vue social, on ne peut être qu’atterré par les conséquences sur l’économie américaine, et partant, mondiale, du désastre de la crise des subprimes, dont la chute de Lehman Brothers n’est que le dernier avatar.

Verel a l’extrême amabilité de nous résumer en termes choisis et vulgarisateurs ce qui semble être la résultante directe d’une forme de gourmandise et d’âpreté au gain. On a aussi tendance à penser que si les traders se comportaient un peu moins comme des geeks ou des fanas de jeux vidéo, on n’en serait pas là.

On pourrait aussi gloser sur les 700 milliards que le Trésor américain (donc les contribuables, et au final, vous et moi en paierons également le prix) va débourser pour calmer le jeu et éviter l’effet boule-de-neige causé par la chute d’une banque d’affaires aussi importante. On pourrait pleurer de rage en regardant l’Etat, tant vilipendé par les requins de la finance, servir constamment de pompier pour circonscrire les incendies allumés par ceux qui contribuent si peu au bien commun. Et qui se font un beurre dingue en refusant d’assumer les conséquences de leur inconséquence. On aurait parfois envie de balancer des briques avec les crypto-gauchistes.

Mais on préfère se calmer, boire un grand verre d’eau, respirer un bon coup et essayer de réfléchir sereinement. On se souvient d’ailleurs qu’Ivan Rioufol terminait ainsi sa note sur la visite de Benoît XVI en France : « La crise financière internationale, qui secoue les États-Unis et qui n’épargnera pas l’Europe, oblige à s’interroger sur un système économique dévoyé. Là aussi, la doctrine sociale de l’Église a une place à prendre dans les réflexions à venir. »

Mais c’est quoi au fait, la doctrine sociale de l’Eglise? On en parle beaucoup mais que dit elle sur tous ces sujets? Grâce au ciel, nous ne sommes pas manchots, et une courte recherche internet nous mène au septième chapitre de la fameuse doctrine, qui semble résumer le discours évangélique en matière économique.

Bien sûr, il est inutile de chercher à y trouver un quelconque programme politique, l’Eglise ne se mêlant pas concrètement du temporel. Il s’agirait plutôt d’une énumération de grands principes, de grandes lignes que l’Eglise propose comme des pistes de réflexion pour tenter d’atteindre le double idéal de charité (que d’aucuns appellent solidarité) et de justice.

La base de tout, c’est que l’économie « n’est qu’un aspect et une dimension dans la complexité de l’activité humaine » (§365), et que  « l’activité économique et le progrès matériel doivent être mis au service de l’homme et de la société » (§326). D’où le principe de la destination universelle des biens, les richesses ne remplissant « leur fonction de service à l’homme » que « quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société » (§328). Cela peut paraître évident, mais à y regarder de plus près, nos lois économiques sont-elles toujours destinées à satisfaire l’intérêt général, et le bien-être de l’homme, ou plutôt à s’assurer le soutien électoral de telle ou telle catégorie de la population? On pourrait y trouver matière à contester la primauté de principe accordée de nos jours à la démocratie moderne, mais on dépasserait un tantinet le cadre du sujet.

La DSE est bien sûr favorable à la propriété privée, à la liberté d’entreprendre, et même à l’économie de marché (§334) sous réserve que son développement ne soit pas uniquement quantitatif : « L’objet de l’économie est la formation de la richesse et son accroissement progressif, en termes non seulement quantitatifs, mais qualitatifs : tout ceci est moralement correct si l’objectif est le développement global et solidaire de l’homme et de la société au sein de laquelle il vit et travaille ».

Et sur le sujet qui nous préoccupe, à savoir le marché et la finance, les choses sont dites clairement : rien ne peut fonctionner si, encore une fois, le but n’est pas le bien de l’Homme mais l’intérêt de quelques-uns ou la passion immodérée pour l’argent ou la richesse. Qui n’est pas condamnée en soi, bien entendu…

Le principe de base est qu’ « il existe de bonnes raisons d’estimer qu’en de nombreuses circonstances le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins« , et qu’un « vrai marché concurrentiel est un instrument efficace pour atteindre d’importants objectifs de justice : modérer les excès de profit des entreprises; répondre aux exigences des consommateurs; réaliser une meilleure utilisation et une économie des ressources; récompenser les efforts des entreprises et l’habileté d’innovation et faire circuler l’information de façon qu’il soit vraiment possible de confronter et d’acquérir les produits dans un contexte de saine concurrence. «  (§ 347) Le §349 ose même parler du marché comme d’un « instrument irremplaçable de régulation du système économique ».

Voilà qui, du coup, nous éloigne un tout petit peu des crypto-gauchistes dont nous parlions précédemment, et qui de toutes façons ne rêvent que de casser du catholique, les fourbes. Ils ont de la chance qu’en face, le discours soit teinté d’amour!

Ceci étant posé, les limites établies sont strictes et n’accordent aucun blancs seing à quelque main invisible que ce soit : « Le marché ne peut pas trouver en lui-même le principe de sa propre légitimation (…) Le profit individuel de l’agent économique, bien que légitime, ne doit jamais devenir l’unique objectif. À côté de celui-ci, il en existe un autre, tout aussi fondamental et supérieur, celui de l’utilité sociale, qui doit être réalisé non pas en opposition, mais en cohérence avec la logique du marché. Quand il remplit les importantes fonctions rappelées ci-dessus, le marché libre sert le bien commun et le développement intégral de l’homme, tandis que l’inversion du rapport entre les moyens et les fins peut le faire dégénérer en une institution inhumaine et aliénante, avec des répercussions incontrôlables. » (§ 348)

Les répercussion incontrôlables, ça ne vous rappelle rien? Non, vraiment rien?

La finance n’est pourtant elle non plus pas condamnée en soi puisque le §368 reconnaît que « l’expérience historique atteste qu’en l’absence de systèmes financiers adéquats, aucune croissance économique n’aurait eu lieu » et reconnaît les « fonctions positives de l’épargne pour le développement complexe du système économique et social ».

Mais on en revient toujours à l’abus et à l’excès : « Le développement de la finance, dont les transactions ont largement surpassé en volume les transactions réelles, risque de suivre une logique toujours plus autopréférentielle, sans lien avec la base réelle de l’économie. »

Et au bout du bout, dans un système globalisé comme le nôtre, il y a risque de double injustice puisque « les pays exclus de ces processus, bien que ne jouissant pas des bénéfices produits par ceux-ci, ne sont pas à l’abri d’éventuelles conséquences négatives de l’instabilité financière sur leurs systèmes économiques réels, surtout s’ils sont fragiles ou si leur développement est en retard » (§369).

Et les solutions quelles sont-elles? Tout l’inverse de la dérégulation! Car selon la DSE, il est « on ne peut plus urgent de trouver des solutions institutionnelles capables de favoriser réellement la stabilité du système, sans en réduire les potentialités ni l’efficacité. Il est indispensable d’introduire un cadre normatif permettant de protéger cette stabilité dans la complexité de tous ses éléments, d’encourager la concurrence entre les intermédiaires et d’assurer la plus grande transparence au profit des investisseurs. »

Mieux, il est du devoir de la communauté internationale de trouver ces solutions (§371).

Mais alors, qu’attend cette dernière pour acheter le compendium de la doctrine sociale de l’Eglise?

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Régime carcéral français : des raisons d’être sceptique

A chaque fois, c’est la même chose. Les visites de prison me plongent toujours pendant plusieurs jours dans une forme de scepticisme envers le régime carcéral. Non pas en raison de l’horreur de la situation, qui semble assez largement exagérée par les associations humanitaires, mais en raison de l’organisation du système en lui-même, de l’ambiance qui règne dans ces établissements.

Attention, je ne parle pas ici statistique mais d’une impression qui se revendique comme personnelle et donc forcément subjective. Voilà, disons le tout net : je n’ai jamais vu, dans une prison, la situation sanitaire catastrophique décrite par les médias et associations, mais en revanche, je reste persuadé de l’inanité du système. Quand on a vu ça, et malgré le travail formidable de quantités d’associations et personnels de réinsertion, on se dit qu’un tel système ne peut que tourner sur lui-même. Et à vrai dire on se demande comment certains s’en sortent.

Hier, j’accompagnais donc une délégation d’élus et d’avocats dans deux prisons du Nord Pas-de-Calais. L’une vétuste à souhait, l’autre d’une modernité à faire peur. Dans ces deux maisons d’arrêt, on sent bien que l’administration veut faire bouger les choses, et des efforts sont faits pour enfin faire en sorte d’appliquer les fameuses règles pénitentiaires européennes, qui ne l’oublions pas, sont à l’origine du projet de loi pénitentiaire examiné fin juillet devant le conseil des ministres, et dont on attend toujours l’arrivée au Sénat, qui ne devrait pas intervenir avant janvier.

Par exemple, on rénove le « mitard », le quartier disciplinaire : plus question de faire dormir les « rebelles » dans des cellules à peine éclairées, dotées de toilettes à la turque. Les fenêtres sont donc en train d’être agrandies, le détenu pourra lui-même allumer la lumière, des toilettes classiques sont installées. Très bien.

Ailleurs, un quartier « sortant » est en cours d’édification : on veut préparer les détenus au plus tôt à rejoindre le monde réel. Le tout dans une atmosphère bon enfant où l’on parle de « contractualisation » avec le détenu, où on insiste sur le fait qu’on « respecte sa volonté ». Oui car voilà : en prison, on ne force jamais personne.

On est libre de travailler ou pas, par exemple, c’est-à-dire d’un côté, d’avoir des horaires qui vous aident à structurer votre journée, gagner de l’argent, s’activer, de l’autre, rester à regarder la télé dans 9m2. Au passage, il paraît assez choquant que des entreprises privées gèrent les « ateliers de production », d’où sortent des produits certifiés ISO-9001 qui sont en concurrence directe avec le marché… D’un côté on peut se dire que cela prépare le détenu à la sortie, en le contraignant à faire du travail de qualité, mais vu du côté de l’entreprise, il s’agit surtout de faire du profit sur le dos des personnes incarcérées et ça, c’est vrai que ça a du mal à passer. Passons.

On fait également beaucoup pour les détenus : de nombreuses activités sont proposées, des tas de gens se bougent pour trouver des idées, il y a des exposition, des concerts, bref, on n’abandonne pas les prisonniers.

Au final, quand on voit tout ça, on réalise les progrès qui ont été effectués non seulement dans les mentalités mais aussi dans les faits. Et la loi pénitentiaire de Rachida Dati essaie de  poursuivre l’effort, en multipliant les mesures alternatives de détention, comme le bracelet électronique, qui sera généralisé pour toutes les peines inférieures ou égales à six mois. les aménagements de peine seront également étendus. « Le but est de stopper la course à l’inflation de la population carcérale, m’explique un élu UMP de la délégation, qui soutient le texte tout en souhaitant des améliorations. C’est un texte très urgent car il faut enfin avoir un texte-cadre sur les prisons, ce qui n’a pas été le cas depuis 22 ans. Le plan Perben de construction des prisons prévoyait de disposer de 64 000 places d’ici à 2011 : il y a déjà plus de 64 000 détenus en France, et l’an passé, la population carcérale a augmenté de 8%! »

On oriente donc tous les efforts sur la population carcérale, en se disant qu’une fois que les effectifs seront revenus à un niveau plus acceptable, tous les problèmes seront règlés. Mais il en existe bien d’autres, des problèmes!

Car dans le même temps, les courtes peines, celles qui sont les plus difficiles à traiter (difficile d’effectuer un travail avec le détenu, à peine entré, déjà sorti…), se multiplient. Dans la prison ultra-moderne que j’ai visitée hier, l’administration double toutes les cellules, prévues au départ pour être individuelles conformément aux recommandations européennes. Quel est le sens de tout cela, au moment où on souhaite diminuer les effectifs?

On joue donc sur les deux tableaux, dans une attitude proprement schyzophrène : à l’opinion publique qui réclame plus de sécurité, on offre des lois répressives, la rétention de sûreté, les peines-plancher pour les récidivistes, on parle de tolérance zéro (et encore, la justice laisse libres quantité de gens qui pourraient encore grossir les effectifs des prisonniers…), et donc on fait tout pour que les personnes dangereuses soient mises hors d’état de nuire, et de l’autre, on élabore de beaux discours sur la dignité du prisonnier et une belle loi pour faire en sorte qu’il y en ait le moins possible.

Moi, le bracelet électronique, je n’ai rien contre, même si on manque de recul pour analyser son application. Il y a encore trop peu de détenus qui le portent pour avoir un retour digne de ce nom. Mais pendant ce temps, l’essence même de la prison française rend vain tous ces efforts, à mon sens. On ne prend pas le problème à la base.

Car pendant que se multiplient tous ces beaux discours, les détenus, eux, vivent dans une atmosphère à l’hygiène douteuse. Dans une ambiance détestable. Dans une sphère fermée où les comportements du dehors se reconstituent. « Ce sont des petites cités en miniature », souligne un surveillant. Les clans se reforment, les rivalités aussi. Et parfois, au milieu de tout cela, de cette ambiance empreinte de violence, où les produits stupéfiants tournent avec une facilité déconcertante, il y a parfois un type qui arrive parce qu’il a bu au volant. Qui se retrouve plongé dans un enfer incroyable, dans un monde qu’il ne connaît pas, d’où il pourra difficilement sortir meilleur qu’il n’est entré.

Il y a aussi l’apprentissage de la violence et des combines, puisqu’on mêle toutes sortes de profils, sans tenir compte des âges (des quartiers jeunes majeurs avaient par exemple été élaborés pour épargner les 18-20 ans : suppirmés à la demande de l’administration centrale!), ni des types de condamnation.

Et puis, bien sûr, il y a les cas qui relèvent de la psychiatrie. « 15 à 30% » des détenus, selon le directeur d’une des deux prisons, souffrent de troubles psychologiques ou psychiatriques. Ce qui semble logique. Quand on se balade dans les allées, on croise certains détenus au regard hagard, shootés au médicaments. Tout se passe comme si on maintenait les détenus tranquilles, avec leur dope et leur télé. Jusqu’au jour où ça explose. « Quand on ouvre certaines cellules on ne sait pas ce qu’on va trouver, certains sont complètement défoncés », glisse un autre surveillant. Les agressions se multiplient. On pourrait parler des deux détenus tués à Rouen. Un jour viendra où un gardien sera touché.

Croyez-vous que la loi pénitentiaire se penche sur le problème? Croyez-vous qu’on ait tenté d’ajouter au débat le problème de la psychiatrie française? Pour beaucoup de gens, les fous n’ont rien à faire en prison, non seulement pour eux (sont-ils responsables de leurs actes? un élu confiait hier qu’il faudrait enfin, un jour, supprimer la différence entre abolition et altération du discernement) mais aussi pour tous les autres.

Mais non. En France, on aime bien règler les problèmes les uns après les autres, au gré des faits divers et de l’actualité. On manque de cette vision globale qui permet de faire avancer les sujets de concert. C’était pourtant ce qui semblait induit dans l’idée de « politique de civilisation », non?

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