Malgré une nausée qui m’obscurcit les idées et me contraint à rester à l’air du cocon de mon appartement, je voulais revenir sur les histoires de nombril entre journalistes-blogueurs et blogueurs tout court, la semaine passée, et qui ont fini par avoir raison des dernières vélléités de Nicolas Vanbreemersch à rester Versac.
Je sais bien que ces histoires n’intéressent guère les lecteurs n’étant pas eux-même blogueurs, et qu’elles sont moins importantes que d’autres, la présence annoncée de Sarkozy aux J.O. de Pékin, par exemple, ou la nouvelle bévue de Ségolène Royal, qui accuse ouvertement le gouvernement d’être responsable du cambriolage qu’elle a subi.
Mais ce qui m’agace, à chaque fois que ce genre de conflit ressurgit, c’est l’éternel débat d’une part sur l’influence supposée des blogs, et d’autre part, sur la rivalité entre journalistes professionnels et blogueurs que l’on qualifiera d’amateurs.
Je ne reviendrai pas sur la notion d’influence, qui m’échappe totalement. Versac évalue à 2 000 son nombre de visites quotidiennes. C’est beaucoup moins que certains skyblogs racontant des vies d’adolescentes. Je ne vois pas trop où est l’influence là-dedans. Si Versac a été pendant des mois le visage du blog politique aux yeux du grand public, c’est parce qu’il l’a accepté, qu’il a une plume, de l’humour, un esprit carré, des idées, une ouverture d’esprit et de dialogue. De là à influencer qui que ce soit, je suis perplexe.
En revanche, sur l’aspect de la guéguerre entre journalistes et blogueurs, il y a à dire. Narvic et Authueil estiment que le rapport (de forces) évolue entre ces deux catégories qui commentent sans cesse le débat politique, de façon parallèle. Selon eux, leurs univers se croisent et les étiquettes changent. Authueil explique ainsi que la crise morale et économique vécue par les médias va pousser « ceux qui se prétendent journalistes » à « descendre dans l’arène », opérant ainsi « un rapprochement assez spectaculaire avec les blogueurs, mais si cela semble être à leur corps défendant », ce qui va accroître le nombre de conflits du même type dans le futur.
Cela rejoint un peu ce qu’on pouvait lire la semaine passée chez Diner’s Room : « Laurent Gloaguen et Versac — mais surtout Versac — ont commencé de pénétrer l’univers médiatique traditionnel. Et c’est là que je vois le point de crispation Jean-Michel Apathie et Guy Birenbaum n’ont pas conquis leur célébrité sur le web. Malgré une audience honorable, ils n’apparaissent pas comme des leaders d’opinion pour une partie des internautes français. Et il peut leur sembler que le statut de Versac et de Laurent a les allures d’une usurpation au regard de leur propre parcours dans la mediasphère. »
Narvic, lui, qui anime un blog spécialisé dans l’analyse des phénomènes médiatiques, va plus loin et estime que de nombreux blogueurs sont déjà, du fait de leur activité informative, des journalistes. Il cite par exemple Versac, Embruns, Eric Dupin (Presse Citron)…
Il va sans dire que je ne suis pas du tout d’accord avec cette vision des choses. On ne devrait pas donner aussi facilement l’étiquette de journaliste. Ce qui revient à la brader. Embruns fait-il du journalisme? Huit fois sur dix ses billets sont des reprises d’autres blogs, agrémenté d’un commentaire personnel. Ce n’est pas de la recherche d’infos, du tri, de la hiérarchisation, du recoupement. C’est de l’humeur, de l’opinion, et ça, ce n’est pas du journalisme. Cela peut en faire partie mais ça n’est pas constitutif de la profession de journaliste. A mon sens, un blogueur « amateur » est ponctuellement journaliste, lorsqu’il publie une interview, lorsqu’il effectue lui-même un travail d’enquête sur un thème donné, ou lorsqu’il est accrédité pour un événement politique, mais pas de manière permanente. Par exemple, Eolas a été journaliste lorsqu’il a lancé cette information, reprise par tous les médias, sur la dénonciation d’un étranger en situation irrégulière par une assistante sociale. Le reste du temps, son blog constitue le point de vue – certes passionnant – de plusieurs professionnels sur le droit positif (et le rugby).
Moi-même, je suis journaliste de métier, mais lorsque je saisis mon clavier pour écrire ici, je n’ai pas le sentiment d’être journaliste… Je rebondis sur l’actualité, la plupart du temps, pour ouvrir un débat sur un sujet précis. Je vérifie les informations que j’utilise (en les recoupant avec divers médias), par déformation professionnelle, mais rien de plus.
La différence essentielle qui existe entre les blogs et les médias traditionnels, au-delà de la technique et des moyens utilisés, nettement à l’avantage de ces derniers, c’est que ceux-ci sont contraints par une ligne, une actionnaire, un format. Là où les blogs font ce qu’ils veulent (y compris des choses médiocres). Là où les blogs parviennent à s’extraire d’avantage de l’urgence de l’actualité pour mettre les choses en perspective. Là où les blogs sont habituellement plus dans le commentaire que dans l’information. D’où une rivalité inévitable, un complexe mutuel entre les deux modèles. N’oublions pas que les médias traditionnels fournissent la matière brute (l’information) aux blogueurs.
Vu des blogs, cette situation est bien entendu à mettre sur le compte de l’incompréhension du web par les médias traditionnels, que Versac résume ainsi dans une interview accordée hier au Figaro : « Journalistes contre blogueurs, c’est un faux débat, qu’entretiennent des journalistes perdus dans leur citadelle et qui se sentent menacés par des gens qui ne leur veulent pas de mal, mais exercent juste un droit de libre correction. Depuis plusieurs mois, on assiste, dans les milieux journalistiques et politiques, à un retour du discours négatif à l’égard du web, qui ne serait que rumeurs, fausses informations, et relativisme. C’est évidemment une caricature. Ce prisme négatif entraine une démission de nombreux acteurs qui devraient prendre la responsabilité de s’investir positivement dans ce nouvel espace public. On aimerait qu’ils aient le courage de se déparer de leurs atours médiatiques pour entrer dans la conversation. ceux qui en font l’expérience, avec sérieux et authenticité, en retirent une expérience très positive, et apportent beaucoup à cet espace. »
Le problème, c’est surtout que « les blogs », ou « les blogs politiques », ça ne veut rien dire, ça n’est pas un groupe homogène. Etant un espace de liberté, c’est aussi un espace où l’information n’est pas contrôlée. Ce qui peut être pour le meilleur (on évite la censure), mais aussi pour le pire (on ne vérifie pas, on propage une rumeur).
Ce « combat » a-t-il donc une raison d’être? Est-il pertinent? Peut-on vraiment reprocher aux professionnels de se méfier de ce monde hétérogène qui les concurrence moralement? De douter de sa légitimité, quand celui-ci, en retour, lui donne de perpétuelles leçons? Et au fond, y a-t-il une réelle incompatibilité entre un modèle vertical (les médias traditionnels), et un modèle participatif (les blogs) basé sur l’échange, la communauté? Pour moi, il y a tout simplement… complémentarité.