Archives mensuelles : juillet 2008

Journalistes VS blogueurs?

Malgré une nausée qui m’obscurcit les idées et me contraint à rester à l’air du cocon de mon appartement, je voulais revenir sur les histoires de nombril entre journalistes-blogueurs et blogueurs tout court, la semaine passée, et qui ont fini par avoir raison des dernières vélléités de Nicolas Vanbreemersch à rester Versac.

Je sais bien que ces histoires n’intéressent guère les lecteurs n’étant pas eux-même blogueurs, et qu’elles sont moins importantes que d’autres, la présence annoncée de Sarkozy aux J.O. de Pékin, par exemple, ou la nouvelle bévue de Ségolène Royal, qui accuse ouvertement le gouvernement d’être responsable du cambriolage qu’elle a subi.

Mais ce qui m’agace, à chaque fois que ce genre de conflit ressurgit, c’est l’éternel débat d’une part sur l’influence supposée des blogs, et d’autre part, sur la rivalité entre journalistes professionnels et blogueurs que l’on qualifiera d’amateurs.

Je ne reviendrai pas sur la notion d’influence, qui m’échappe totalement. Versac évalue à 2 000 son nombre de visites quotidiennes. C’est beaucoup moins que certains skyblogs racontant des vies d’adolescentes. Je ne vois pas trop où est l’influence là-dedans. Si Versac a été pendant des mois le visage du blog politique aux yeux du grand public, c’est parce qu’il l’a accepté, qu’il a une plume, de l’humour, un esprit carré, des idées, une ouverture d’esprit et de dialogue. De là à influencer qui que ce soit, je suis perplexe.

En revanche, sur l’aspect de la guéguerre entre journalistes et blogueurs, il y a à dire. Narvic et Authueil estiment que le rapport (de forces) évolue entre ces deux catégories qui commentent sans cesse le débat politique, de façon parallèle. Selon eux, leurs univers se croisent et les étiquettes changent. Authueil explique ainsi que la crise morale et économique vécue par les médias va pousser « ceux qui se prétendent journalistes » à « descendre dans l’arène », opérant ainsi « un rapprochement assez spectaculaire avec les blogueurs, mais si cela semble être à leur corps défendant », ce qui va accroître le nombre de conflits du même type dans le futur.

Cela rejoint un peu ce qu’on pouvait lire la semaine passée chez Diner’s Room : « Laurent Gloaguen et Versac — mais surtout Versac — ont commencé de pénétrer l’univers médiatique traditionnel. Et c’est là que je vois le point de crispation Jean-Michel Apathie et Guy Birenbaum n’ont pas conquis leur célébrité sur le web. Malgré une audience honorable, ils n’apparaissent pas comme des leaders d’opinion pour une partie des internautes français. Et il peut leur sembler que le statut de Versac et de Laurent a les allures d’une usurpation au regard de leur propre parcours dans la mediasphère. »

Narvic, lui, qui anime un blog spécialisé dans l’analyse des phénomènes médiatiques, va plus loin et estime que de nombreux blogueurs sont déjà, du fait de leur activité informative, des journalistes. Il cite par exemple Versac, Embruns, Eric Dupin (Presse Citron)…

Il va sans dire que je ne suis pas du tout d’accord avec cette vision des choses. On ne devrait pas donner aussi facilement l’étiquette de journaliste. Ce qui revient à la brader. Embruns fait-il du journalisme? Huit fois sur dix ses billets sont des reprises d’autres blogs, agrémenté d’un commentaire personnel. Ce n’est pas de la recherche d’infos, du tri, de la hiérarchisation, du recoupement. C’est de l’humeur, de l’opinion, et ça, ce n’est pas du journalisme. Cela peut en faire partie mais ça n’est pas constitutif de la profession de journaliste. A mon sens, un blogueur « amateur » est ponctuellement journaliste, lorsqu’il publie une interview, lorsqu’il effectue lui-même un travail d’enquête sur un thème donné, ou lorsqu’il est accrédité pour un événement politique, mais pas de manière permanente. Par exemple, Eolas a été journaliste lorsqu’il a lancé cette information, reprise par tous les médias, sur la dénonciation d’un étranger en situation irrégulière par une assistante sociale. Le reste du temps, son blog constitue le point de vue – certes passionnant – de plusieurs professionnels sur le droit positif (et le rugby). 

Moi-même, je suis journaliste de métier, mais lorsque je saisis mon clavier pour écrire ici, je n’ai pas le sentiment d’être journaliste… Je rebondis sur l’actualité, la plupart du temps, pour ouvrir un débat sur un sujet précis. Je vérifie les informations que j’utilise (en les recoupant avec divers médias), par déformation professionnelle, mais rien de plus.

La différence essentielle qui existe entre les blogs et les médias traditionnels, au-delà de la technique et des moyens utilisés, nettement à l’avantage de ces derniers, c’est que ceux-ci sont contraints par une ligne, une actionnaire, un format. Là où les blogs font ce qu’ils veulent (y compris des choses médiocres). Là où les blogs parviennent à s’extraire d’avantage de l’urgence de l’actualité pour mettre les choses en perspective. Là où les blogs sont habituellement plus dans le commentaire que dans l’information. D’où une rivalité inévitable, un complexe mutuel entre les deux modèles. N’oublions pas que les médias traditionnels fournissent la matière brute (l’information) aux blogueurs. 

Vu des blogs, cette situation est bien entendu à mettre sur le compte de l’incompréhension du web par les médias traditionnels, que Versac résume ainsi dans une interview accordée hier au Figaro : « Journalistes contre blogueurs, c’est un faux débat, qu’entretiennent des journalistes perdus dans leur citadelle et qui se sentent menacés par des gens qui ne leur veulent pas de mal, mais exercent juste un droit de libre correction. Depuis plusieurs mois, on assiste, dans les milieux journalistiques et politiques, à un retour du discours négatif à l’égard du web, qui ne serait que rumeurs, fausses informations, et relativisme. C’est évidemment une caricature. Ce prisme négatif entraine une démission de nombreux acteurs qui devraient prendre la responsabilité de s’investir positivement dans ce nouvel espace public. On aimerait qu’ils aient le courage de se déparer de leurs atours médiatiques pour entrer dans la conversation. ceux qui en font l’expérience, avec sérieux et authenticité, en retirent une expérience très positive, et apportent beaucoup à cet espace. »

Le problème, c’est surtout que « les blogs », ou « les blogs politiques », ça ne veut rien dire, ça n’est pas un groupe homogène. Etant un espace de liberté, c’est aussi un espace où l’information n’est pas contrôlée. Ce qui peut être pour le meilleur (on évite la censure), mais aussi pour le pire (on ne vérifie pas, on propage une rumeur).

Ce « combat » a-t-il donc une raison d’être? Est-il pertinent? Peut-on vraiment reprocher aux professionnels de se méfier de ce monde hétérogène qui les concurrence moralement? De douter de sa légitimité, quand celui-ci, en retour, lui donne de perpétuelles leçons? Et au fond, y a-t-il une réelle incompatibilité entre un modèle vertical (les médias traditionnels), et un modèle participatif (les blogs) basé sur l’échange, la communauté? Pour moi, il y a tout simplement… complémentarité.

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Versac meurt mais ne se rend pas

Au terme d’une querelle stérile entre quelques blogs dits « influents » et le polémiste Guy Birenbaum, sur fond d’accusations malsaines de la part du blogueur « NRV », et avec un contexte pollué par une guéguerre entre le journaliste Jean-Michel Aphatie et Versac – dans tout cela, il n’y a pas eu vraiment d’échange d’idées… – ce dernier annonce l’arrêt de son blog :

« La bulle médiatique autour des blogs a engendré une sorte de monstre, qui est une invention stupide, le blogueur influent. L’attention des media, qui a eu besoin de symboles, s’est cristallisée autour de ce blog, comme un symbole du blog politique.

(…)
Le climat qu’engendre cette suspicion d’influence, cette notoriété, ne rend plus possible une pratique simple de ce blog. Cela fait des mois que je chronique cette difficulté. Elle atteint un point de non retour. J’ai un peu trop subi de trucs, ces derniers mois, pour que cela ne m’atteigne pas. Je peux entendre toutes les critiques. Je les cherche même. Mais ce que je ne peux entendre sont des critiques qui n’ont rien à voir avec la réalité, ces digressions insultantes liées à un statut imaginaire, mais tellement facile, de « grand », de « star », « d’influent ».

(…)

Oh, je ne suis pas parfait. Je n’ai jamais prétendu l’être, ni quoi que ce soit d’autre. J’étais juste là. Je tentais de suivre ici une ligne floue, faite d’humeurs et de réflexions, légères et graves. Mais avec toujours en point de mire une tentative d’éthique et de justesse, de sincérité. Cela n’est plus possible, tant pis.

(…)

En attendant, je publierai, ailleurs. Sous mon vrai nom, sans pseudo. Et avec d’autres modes d’interaction. J’ai des projets heureux de ce point de vue, qui me permettront de travailler autrement à l’expression de cette passion et cette connaissance de ce qui se passe, ici, sur le web. J’ai quelques propositions de tribunes, ici ou là, de collaborations, d’autres projets. Ça sera sous mon nom, et pas ce truc qu’est devenu versac. Il y a un livre, aussi, que je vais terminer cet été. Me libérer de ce blog pesant m’ouvre des horizons nouveaux. »

Certains tentent de s’interroger sur les véritables raisons de ce départ, et posent la question : « peut-on mener de front une carrière et un blog un peu connu? Le blog bouffe-t-il votre temps et votre énergie en pure perte ou bien vous enrichit-il? Bref, est-ce tenable? »

La question a déjà été posée ici ou . Mais je ne crois pas qu’il s’agisse d’un point-clef dans ce point final. Beaucoup de blogueurs ont des activités prenantes (Eolas en est le meilleur exemple) tout en étant très actifs sur internet. Peut-être la lassitude, qui guette tous ceux qui se lancent dans un projet d’écriture ou de blogging, a-t-elle atteint Versac.

Sachons toutefois toutes proportions garder : si pour quelques-uns, si pour l’élite de la blogosphère, cette fin a une importance, il s’agit avant tout d’un micro-événement qui n’aura que peu de conséquences. versac.net n’est pas le premier blog qui s’arrête, et ça ne sera sans doute pas le dernier. Bonne continuation à son auteur.

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Les ficelles de l’info (4) : médias et pouvoir

Ce billet est adressé à tous ceux qui ont une vision binaire du monde, voire manichéenne, et qui estiment, parce qu’il ne veulent pas aller plus loin que l’écume des choses, que les médias sont « mis au pas » par Nicolas Sarkozy (pour reprendre le terme de Jean-François Kahn, paranoïaque notoire). Qu’il y a un danger pour les libertés. Etc, etc.

Certes, il faudrait être naïf, aveugle, pour ne pas voir la relation déséquilibrée, malsaine, que le président entretient avec les médias, et depuis longtemps. Il connaît si bien le cirque médiatique qu’il parvient à fasciner les journalistes. Et surtout, à dicter sans cesse l’agenda médiatique. La mécanique se nourrit d’elle-même. Plus on va vite, moins on pourra voir ce qu’on fait. Plus on choque et on focalise le débat sur un thème, plus il sera facile de légiférer tranquillement sur un autre point.

Certes, c’est lui qui possède aujourd’hui le pouvoir suprême. Donc c’est forcément lui qui représente la plus grande menace sur l’indépendance des journaux, des télés, des hebdos. Et il a prouvé par le passé qu’il savait mettre un mouchoir sur sa conscience à ce niveau : nous sommes parfaitement d’accord là-dessus.

Mais il y a une chose qu’oublient tous nos critiques des médias, c’est l’attitude des journalistes dans tout cela. Comme le disait le susnommé JFK dans un interview donnée samedi dernier à Marianne (qu’il ne dirige plus), « on peut se raconter ce qu’on veut, si collectivement, tous les journalistes de gauche, de droite ou du centre, quel que soit leur niveau hiérarchique, refusaient d’enfreindre certains principes ou de sacrifier aux exigences de quelque pouvoir que ce soit, nul ne parviendrait à les contraindre ». Et il a raison, le bougre : on ne peut forcer un journaliste à écrire ce qu’il ne veut pas écrire. On ne peut pas non plus écrire à sa place.

D’autant que Sarkozy ne sera pas toujours là! La vérité, c’est que les journalistes sont tout à fait volontaires et donnent bien souvent le bâton pour se faire battre. Nombre d’entre eux acceptent de faire allégeance à tel ou tel, et pas uniquement dans le monde politique. Mais le fond de tout cela n’est pas particulier à Sarkozy : les journalistes ont toujours été et seront toujours dépendants du pouvoir, fascinés par le pouvoir, quel qu’il soit. Ils sont collectivement serviles. Il est là, le principal responsable de cette situation : ce n’est pas Sarkozy, mais un problème structurel des médias, qui sont trop dépendants des pouvoirs en tant que sources. Parce qu’ils ont perdu les moyens de faire de l’investigation, et que parallèlement, ces pouvoirs ont appris à centraliser la communication pour la maîtriser et empêcher les fuites.

Parallèlement à cela, il existe donc des journalistes qui fragilisent leur métier en se considérant juste comme des notables comme les autres, qui changent de cour ou d’allégeance comme de chemise. Qui bradent l’honneur d’une profession et surtout, qui minent les positions de leurs collègues. Sans que cela leur pose de problème de conscience. On a pu voir un exemple très récent à Lille : un journaliste (qu’il n’y a pas besoin de citer) qui roulait ouvertement pour Pierre Mauroy depuis des années, et qui a toujours critiqué Martine Aubry, a fait officiellement acte de soumission envers la nouvelle maîtresse des lieux dans un papier élogieux, lèche-cul, sans aucun recul. Croyez-vous qu’Aubry lui avait demandé de le faire? Certainement pas. Mais c’est toujours bon à prendre…

A côté de ces renoncements volontaires, comprenons-nous bien : Sarkozy ne fait que pratiquer à la perfection (quoiqu’il soit moins performant, ces derniers temps) une technique que tous, je dis bien tous, utilisent : le chantage implicite à l’info. Celui-ci n’est jamais formulé, mais est toujours présent. Si jamais tu déplais, tu seras mis sur la touche, mon petit journaliste. Et ne plus avoir d’infos, pour un journaliste, c’est ennuyeux. Bien souvent, on se dit que cela ne vaut pas le coup de se fâcher avec lui ou elle, juste pour un « coup », alors qu’on a une relation de long terme avec lui ou elle.

Cela existe à droite, à gauche, au centre, partout. Moi qui suis journaliste dans le Nord, où les socialistes occupent les premières places, je peux vous assurer que ces derniers ne sont pas en reste. Il n’y a pas de raison qu’ils s’en privent d’ailleurs. Ils font comme tout le monde. Cessons donc de croire que la manipulation médiatique appartient à Sarkozy ou à la droite…

SI on sort du politique, d’ailleurs, on retrouve très vite d’autres milieux où ce phénomène est frappant. Prenez la police par exemple. Il n’y a pas plus fermé, comme monde. Il n’y a pas plus manipulateur avec les journalistes que la police. Impossible de s’en passer, pour un média! La police est une source incontournable, une source qu’il ne faut à aucun prix mécontenter. Donc c’est un pouvoir. Celle-ci le sait, et en joue. Un jeu pervers, même, dont il faut se méfier et auquel il n’est pas évident de résister. Vous croyez que c’est un hasard, vous, si on n’apprend qu’aujourd’hui que les policiers de Villiers-le-Bel, ceux qui ont renversé cette mini-moto, provoquant des nuits d’émeute, ont menti sur les faits? A part la police, qui peut vous renseigner sur ce genre de chose? Le parquet, qui est la voix du pouvoir? Sur ce sujet des raprts police-médias, il y aurait même tout un bouquin à écrire. Encore un exemple où les journalistes se coincent eux-mêmes.

Parlez ensuite avec un journaliste sportif des rapports qui existent avec les clubs, les sportifs, les dirigeants. Dans le monde du foot, par exemple, l’omerta est effarante. Encore une dépendance aux pouvoirs. Tu balances une info qui déplaît, tu ne rentre plus dans le stade… C’est aussi simple que cela. Croyez-vous, là ausi, que ce soit un hasard si Domenech a été lynché après la défaite, mais pas avant? Eho, coco, on va pas critiquer un type qui peut nous être utile! En revanche, s’il est à terre, on peut y aller. On peut dénoncer après coup ses choix tactiques, alors qu’on aurait pu le faire en temps réel. Ce qui sera marrant à observer, c’est l’attitude qu’il va adopter par rapport aux médias s’il est maintenu à son poste.

C’est pour toutes ces raisons que quand on parle de « pouvoir médiatique », je me marre tranquillement dans mon coin. Comme si les médias avaient une âme collective! En réalité, il faudrait parler de force de frappe. Et elle est considérable, pour relayer une info, pour en cacher une autre, pour faire tomber un ministre, pour tenter d’imposer une avancée sur un sujet de société, mais il ne s’agit que d’un moyen : d’autres tirent les ficelles en coulisses, et les médias ne s’en rendent pas compte.

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