Lettre ouverte à Cécile Duflot, ou l’histoire de la paille et de la poutre

Je vais vous le dire franchement, Madame la ministre, comme si on était assis tous les deux en terrasse, un demi à la main, en bons copains (cela marche aussi avec la veillé au coin du feu) : en découvrant votre appel à l’archevêché de Paris dans Aujourd’hui en France/Le Parisien, j’ai failli m’étrangler de stupeur. Et accessoirement, m’étouffer en avalant de travers ma gorgée de café. Ma première réaction intérieure, a été assez violente, je dois l’avouer, et puis je me suis calmé et me suis décidé à vous écrire, tranquillement, calmement.

Pour ceux qui ne suivent pas, vous avez déclaré ceci au détour de cette interview, dans lequel vous lanciez un appel à la solidarité et une menace de réquisition, alors que les bâtiments vides sont légion et que comme chaque année à l’approche de l’hiver, on s’arrache les cheveux pour trouver des hébergements pour les sans-abris : « Je souhaite faire appel à toutes les bonnes volontés et faire appliquer la loi à tous ceux qu’elle concerne. Par exemple, il semble que l’archevêché de Paris possède des bâtiments quasi vides. Je viens donc de leur écrire pour voir avec eux comment utiliser ces locaux. »

Et lorsque le journaliste vous questionne sur le point de savoir si vous iriez jusqu’à réquisitionner des biens ecclésiastiques, vous ne le détrompez en rien! « L’Eglise fait partie de ces personnes morales… dans tous les sens du terme! J’ai bon espoir qu’il n’y ait pas besoin de faire preuve d’autorité.  Je ne comprendrais pas que l’Eglise ne partage pas nos objectifs de solidarité. Pour moi, ce n’est pas une simple question légale, c’est un choix de société. »

On peut faire preuve d’angélisme, penser que vous n’avez pas cherché à mal, s’accrocher au fait que ne fassiez que lancer un appel au secours, que votre mission est délicate, voire même que vos propos ont été mal retranscrits. La lecture de la fameuse lettre à l’archevêché montre en effet un autre ton que celui employé dans Le Parisien.

Reste que cette initiative et la manière dont vous avez choisi de vous adresser publiquement à l’Eglise montrent que vous sous-entendez que l’Eglise ne prend pas suffisamment sa part dans la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, et le mal-logement.

Vous souhaiteriez faire de l’Eglise un bouc-émissaire de la situation catastrophique des sans-abris, vous ne vous y prendriez pas autrement. Des esprits tatillons pourraient même imaginer que vous n’agiriez pas non plus différemment si vous cherchiez à attaquer Mgr André Vingt-Trois au moment-même où l’archevêque de Paris est en pointe du combat contre le mariage homosexuel, sujet sur lequel votre gouvernement commence à être un tantinet en difficulté. La preuve, il refuse tout débat, et les rares fois où il s’y essaie, c’est une parodie où des députés agressent verbalement des responsables religieux comme au bon vieux temps du père Combes.

Quelques rappels sont donc nécessaires, chère Madame, qui montrent que vous ne connaissez malheureusement rien au sujet. Au passage, il est vrai qu’il est plus facile de brandir des incantations sur la légalisation du cannabis que de s’attaquer aux vrais problèmes de notre société.

D’abord, il faut rappeler que ce qui manque, ce n’est pas tant des bâtiments que des sous pour accompagner les personnes qu’on y logerait. C’est bien beau de réquisitionner des banques vides ou des églises vides, mais s’il n’y a pas de travailleurs sociaux pour être auprès d’eux, ça ne sert à rien. A moins que vous ne souhaitiez aussi réquisitionner des curés ou des paroissiens?

Ensuite, pour votre gouverne, comme celui-ci l’a lui-même rappelé, l’évêché de Paris prend toute sa part à l’aide aux sans-abris, notamment via son initiative « Hiver Solidaire ». Vingt-six paroisses accueillent chaque nuit, pendant plusieurs semaines, des SDF qui sont logés et qui reçoivent un petit-déjeuner le lendemain matin, servi par des paroissiens bénévoles. A Lyon, l’Eglise héberge chaque hiver 120 sans-abris dans une maison diocésaine.

Le Parisien cite lui-même dans son article l’exemple de six paroisses de Seine-Saint-Denis qui pour la première fois, ont décidé « d’offrir dans leurs murs le gîte et le couvert pour les sans-abris » cet hiver. On pourrait multiplier les exemples ainsi, à l’envi. On pourrait aussi parler de l’Armée du Salut, de la Croix-Rouge, du Secours catholique…

Quels salauds ces chrétiens!

Qu’en dites-vous, Madame la Ministre? Vous persistez à penser que l’Eglise ne « partage pas vos objectifs de solidarité »?

L’Eglise, comme les autres religions, prend toute sa part, même si elle pourrait faire plus : on peut toujours faire plus. Quand l’Etat expulse les Roms à tour de bras, par exemple, le diocèse de Lille a choisi cet été de ne pas porter plainte quand des Roms s’étaient installés sur un de ses terrains, en août.

Idem à l’église réformée de Lille-Fives où des sans-papiers se sont installés pour faire une grève de la faim il y a quelques jours : les protestants n’ont pas porté plainte. Imaginez-vous deux secondes, Madame Duflot, la préfecture du Nord occupée par des sans-papiers. Imaginez deux secondes des Roms dans votre jardin. Les CRS seraient là dans la minute.

Dans ma paroisse, à Lille, une soupe et un accueil chaleureux est organisée tous les soirs entre novembre et mars, pour tous les sans-abri qui souhaitent venir. Le diocèse de Lyon fait état d’autres initiatives lancées.

Il y a les incantations, et les initiatives locales qui se font sans bruit.

Tout ceci ne veut pas dire que vous avez tort de faire appel à l’Eglise, chère Madame. Vous avez mille fois raison, et cet appel à la solidarité doit tous nous toucher, catholiques ou non catholiques, croyant ou non croyants. Vous avez mille fois raison, car on ne peut pas tout demander à l’Etat.

Mais d’une part, vous avez lourdement fauté en ne reconnaissant pas, dans cette interview, la part réalisée par l’Eglise. Vous envisagez froidement des réquisitions, en laissant croire que l’Eglise ne fait rien pour les autres.

D’autre part, vous devriez surtout balayer devant votre porte : avant d’aller chercher des poux sur la tête du voisin, on regarde si soi-même, on ne devrait pas se gratter. Et en l’occurrence, j’aimerais qu’on compare le nombre de logements publics vides et celui des bâtiments de l’archevêché de Paris inoccupés. M’est avis qu’on pourrait alors parler d’hôpital, de charité, de paille et de poutre. Surtout quand l’une de vos collègues du gouvernement, Delphine Batho, a occupé un logement social de 108 m² pendant des années pour 1524€ par mois.

Une fois que vous aurez fait ce travail comparatif, nous autres catholiques, serons prêts à recevoir vos leçons.

Veuillez recevoir, chère madame, l’expression de mon affection la plus sincère, quoique un peu atterrée depuis ce matin.

P.S. : je ne vous fais pas l’injure de vous interroger sur les pièces vides du ministère du Logement. Je suis soucieux d’un débat serein sur la question.