Régime carcéral français : des raisons d’être sceptique

A chaque fois, c’est la même chose. Les visites de prison me plongent toujours pendant plusieurs jours dans une forme de scepticisme envers le régime carcéral. Non pas en raison de l’horreur de la situation, qui semble assez largement exagérée par les associations humanitaires, mais en raison de l’organisation du système en lui-même, de l’ambiance qui règne dans ces établissements.

Attention, je ne parle pas ici statistique mais d’une impression qui se revendique comme personnelle et donc forcément subjective. Voilà, disons le tout net : je n’ai jamais vu, dans une prison, la situation sanitaire catastrophique décrite par les médias et associations, mais en revanche, je reste persuadé de l’inanité du système. Quand on a vu ça, et malgré le travail formidable de quantités d’associations et personnels de réinsertion, on se dit qu’un tel système ne peut que tourner sur lui-même. Et à vrai dire on se demande comment certains s’en sortent.

Hier, j’accompagnais donc une délégation d’élus et d’avocats dans deux prisons du Nord Pas-de-Calais. L’une vétuste à souhait, l’autre d’une modernité à faire peur. Dans ces deux maisons d’arrêt, on sent bien que l’administration veut faire bouger les choses, et des efforts sont faits pour enfin faire en sorte d’appliquer les fameuses règles pénitentiaires européennes, qui ne l’oublions pas, sont à l’origine du projet de loi pénitentiaire examiné fin juillet devant le conseil des ministres, et dont on attend toujours l’arrivée au Sénat, qui ne devrait pas intervenir avant janvier.

Par exemple, on rénove le « mitard », le quartier disciplinaire : plus question de faire dormir les « rebelles » dans des cellules à peine éclairées, dotées de toilettes à la turque. Les fenêtres sont donc en train d’être agrandies, le détenu pourra lui-même allumer la lumière, des toilettes classiques sont installées. Très bien.

Ailleurs, un quartier « sortant » est en cours d’édification : on veut préparer les détenus au plus tôt à rejoindre le monde réel. Le tout dans une atmosphère bon enfant où l’on parle de « contractualisation » avec le détenu, où on insiste sur le fait qu’on « respecte sa volonté ». Oui car voilà : en prison, on ne force jamais personne.

On est libre de travailler ou pas, par exemple, c’est-à-dire d’un côté, d’avoir des horaires qui vous aident à structurer votre journée, gagner de l’argent, s’activer, de l’autre, rester à regarder la télé dans 9m2. Au passage, il paraît assez choquant que des entreprises privées gèrent les « ateliers de production », d’où sortent des produits certifiés ISO-9001 qui sont en concurrence directe avec le marché… D’un côté on peut se dire que cela prépare le détenu à la sortie, en le contraignant à faire du travail de qualité, mais vu du côté de l’entreprise, il s’agit surtout de faire du profit sur le dos des personnes incarcérées et ça, c’est vrai que ça a du mal à passer. Passons.

On fait également beaucoup pour les détenus : de nombreuses activités sont proposées, des tas de gens se bougent pour trouver des idées, il y a des exposition, des concerts, bref, on n’abandonne pas les prisonniers.

Au final, quand on voit tout ça, on réalise les progrès qui ont été effectués non seulement dans les mentalités mais aussi dans les faits. Et la loi pénitentiaire de Rachida Dati essaie de  poursuivre l’effort, en multipliant les mesures alternatives de détention, comme le bracelet électronique, qui sera généralisé pour toutes les peines inférieures ou égales à six mois. les aménagements de peine seront également étendus. « Le but est de stopper la course à l’inflation de la population carcérale, m’explique un élu UMP de la délégation, qui soutient le texte tout en souhaitant des améliorations. C’est un texte très urgent car il faut enfin avoir un texte-cadre sur les prisons, ce qui n’a pas été le cas depuis 22 ans. Le plan Perben de construction des prisons prévoyait de disposer de 64 000 places d’ici à 2011 : il y a déjà plus de 64 000 détenus en France, et l’an passé, la population carcérale a augmenté de 8%! »

On oriente donc tous les efforts sur la population carcérale, en se disant qu’une fois que les effectifs seront revenus à un niveau plus acceptable, tous les problèmes seront règlés. Mais il en existe bien d’autres, des problèmes!

Car dans le même temps, les courtes peines, celles qui sont les plus difficiles à traiter (difficile d’effectuer un travail avec le détenu, à peine entré, déjà sorti…), se multiplient. Dans la prison ultra-moderne que j’ai visitée hier, l’administration double toutes les cellules, prévues au départ pour être individuelles conformément aux recommandations européennes. Quel est le sens de tout cela, au moment où on souhaite diminuer les effectifs?

On joue donc sur les deux tableaux, dans une attitude proprement schyzophrène : à l’opinion publique qui réclame plus de sécurité, on offre des lois répressives, la rétention de sûreté, les peines-plancher pour les récidivistes, on parle de tolérance zéro (et encore, la justice laisse libres quantité de gens qui pourraient encore grossir les effectifs des prisonniers…), et donc on fait tout pour que les personnes dangereuses soient mises hors d’état de nuire, et de l’autre, on élabore de beaux discours sur la dignité du prisonnier et une belle loi pour faire en sorte qu’il y en ait le moins possible.

Moi, le bracelet électronique, je n’ai rien contre, même si on manque de recul pour analyser son application. Il y a encore trop peu de détenus qui le portent pour avoir un retour digne de ce nom. Mais pendant ce temps, l’essence même de la prison française rend vain tous ces efforts, à mon sens. On ne prend pas le problème à la base.

Car pendant que se multiplient tous ces beaux discours, les détenus, eux, vivent dans une atmosphère à l’hygiène douteuse. Dans une ambiance détestable. Dans une sphère fermée où les comportements du dehors se reconstituent. « Ce sont des petites cités en miniature », souligne un surveillant. Les clans se reforment, les rivalités aussi. Et parfois, au milieu de tout cela, de cette ambiance empreinte de violence, où les produits stupéfiants tournent avec une facilité déconcertante, il y a parfois un type qui arrive parce qu’il a bu au volant. Qui se retrouve plongé dans un enfer incroyable, dans un monde qu’il ne connaît pas, d’où il pourra difficilement sortir meilleur qu’il n’est entré.

Il y a aussi l’apprentissage de la violence et des combines, puisqu’on mêle toutes sortes de profils, sans tenir compte des âges (des quartiers jeunes majeurs avaient par exemple été élaborés pour épargner les 18-20 ans : suppirmés à la demande de l’administration centrale!), ni des types de condamnation.

Et puis, bien sûr, il y a les cas qui relèvent de la psychiatrie. « 15 à 30% » des détenus, selon le directeur d’une des deux prisons, souffrent de troubles psychologiques ou psychiatriques. Ce qui semble logique. Quand on se balade dans les allées, on croise certains détenus au regard hagard, shootés au médicaments. Tout se passe comme si on maintenait les détenus tranquilles, avec leur dope et leur télé. Jusqu’au jour où ça explose. « Quand on ouvre certaines cellules on ne sait pas ce qu’on va trouver, certains sont complètement défoncés », glisse un autre surveillant. Les agressions se multiplient. On pourrait parler des deux détenus tués à Rouen. Un jour viendra où un gardien sera touché.

Croyez-vous que la loi pénitentiaire se penche sur le problème? Croyez-vous qu’on ait tenté d’ajouter au débat le problème de la psychiatrie française? Pour beaucoup de gens, les fous n’ont rien à faire en prison, non seulement pour eux (sont-ils responsables de leurs actes? un élu confiait hier qu’il faudrait enfin, un jour, supprimer la différence entre abolition et altération du discernement) mais aussi pour tous les autres.

Mais non. En France, on aime bien règler les problèmes les uns après les autres, au gré des faits divers et de l’actualité. On manque de cette vision globale qui permet de faire avancer les sujets de concert. C’était pourtant ce qui semblait induit dans l’idée de « politique de civilisation », non?

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