Jean-Marc Ayrault et les « boules puantes »

L’affaire Jean-Marc Ayrault est tout sauf anecdotique, car elle place d’emblée le président de la République, François Hollande, face à ses responsabilités et un engagement qu’il a pris librement : ne pas nommer autour de lui des personnes jugées et condamnées. A l’évidence, personne – pas même l’UMP – ne songerait à disqualifier le maire de Nantes pour une faute qu’il a payée et qui est ancienne. Personne, sauf M. Hollande, qui a décidé de lui-même de limiter son champ des possibles en matière de choix de collaborateurs. On verra mardi si le nouveau président choisit ou non de placer son mandat sur le terrain des valeurs.

Ce n’est pas une faute « vénielle », « bénine » ou « limitée », comme on peut le lire ici ou là : M. Ayrault, le Fillon de la gauche, pressenti pour être le prochain Premier ministre de la France, a été condamné en 1997 par le tribunal correctionnel de Nantes, en tant que maire, parce que sa municipalité a confié un marché public à un ami sans passer par une procédure d’appel d’offres. On n’est pas dans le vol de sac à mains, mais bien dans la « République des copains » dont on n’arrive pas à sortir.

Pour autant, il ne s’agit pas ici de remettre en cause la probité de M. Ayrault, qui n’a peut-être même pas fait ce choix lui-même, et s’il l’a fait, a payé sa faute, outre l’humiliation d’un procès public, d’une condamnation de six mois de prison avec sursis. Ce dernier a donc tout à fait raison de défendre son honneur publiquement aujourd’hui, et de se défendre d’être « malhonnête ».

Mais est-ce de probité dont on parle?

Reprenons ce qu’a dit François Hollande le 14 avril dernier, dans une interview au JDD, alors qu’il était candidat à la présidence de la République :

Si je suis demain président de la République, la justice ira jusqu’au bout sur toutes les affaires. Elle ne sera pas entravée, les parquets ne feront pas appel. Ils ne recevront aucune instruction individuelle de la chancellerie. Et si des élus, socialistes ou autres, sont condamnés pour des faits de corruption, ils ne pourront pas se présenter pendant dix ans. Je n’aurai pas autour de moi à l’Élysée des personnes jugées et condamnées.

Quelqu’un a-t-il forcé M. Hollande a faire cet engagement? Nullement. Le nouvel homme fort de la gauche, à qui au passage, nous souhaitons – sincèrement – bonne chance pour les cinq ans qui viennent, était interrogé sur les « affaires » secouant les fédérations socialistes des Bouches-du-Rhône et du Pas-de-Calais. Nul doute qu’il a alors péché par excès de zèle, en fixant une condition bien peu raisonnable pour les nominations du prochain quinquennat.

Pourquoi en effet se priver des talents d’une personne qui a pu être condamné, mais qui a payé sa dette à la société, et qui a donc un droit légitime à la rédemption?

On voit aujourd’hui, avec le cas de M. Ayrault, tout le problème posé par cette limite que s’est fixée le candidat socialiste : condamné ne veut pas dire marqué à vie au fer rouge. Chacun peut fauter, puis le regretter, et enfin se racheter.

Néanmoins, cette condition a été fixée, et François Hollande ferait un bien mauvais début de quinquennat si sa première décision publique violait un de ses engagements. On se souvient que Nicolas Sarkoy, en 2007, a torpillé son mandat en quelques jours, en donnant d’emblée une mauvaise image de lui, qui allait en contradiction avec son discours de candidat. Après avoir fait sa campagne sur le thème du mérite, du pouvoir d’achat et de la France qui se lève tôt, cela faisait tâche de le voir se reposer sur le yacht d’un milliardaire avant la passation de pouvoirs.

Même chose ici : la nomination de M. Ayrault à Matignon peut être le sparadrap qui collera au doigt de François Hollande pendant cinq années. Et la droite serait bien bête de ne pas s’en servir dès qu’elle le pourra. Car le syllogisme est parfait : M. Hollande ne veut pas nommer de personnes qui ont été condamnées autour de lui, M. Ayrautl a été condamné par le passé, M. Hollande ne peut donc pas le nommer.

Bien sûr, dans certains médias ou dans la bouche des socialistes, on parle de « boules puantes ». Eh oui, tu l’auras remarqué, cher lecteur : quand on enquête sur la droite, c’est de l’héroïsme, du vrai journalisme, de l’investigation. En revanche, si tu as l’audace de vérifier si les promesses d’un président de gauche coïncident avec ses actions, c’est de la boule puante. En gros : du journalisme-poubelle scandaleux qui nous rappelle les heures les plus sombres de l’histoire, etc.

A mon sens, l’Express a donc eu tout à fait raison de reprendre cette information qui circulait sur internet ou dans des chaînes de mail.

Mais bien sûr, jamais des socialistes n’auraient fait cela. Car la gauche, c’est la République irréprochable, c’est le Bien. Au passage, le fait que tous à gauche défendent Jean-Marc Ayrault montre bien que c’est lui que veut nommer François Hollande, et pas les fausses hypothèses Valls ou Aubry.

Nous aurons, je pense, beaucoup à dire durant ce quinquennat. Ayant soutenu Nicolas Sarkozy – contre mon gré – au second tour, je n’avais pourtant pas particulièrement soutenu l’action de son quinquennat. Je ne changerai pour autant pas d’attitude sur ce blog : je ne suis pas là pour jouer le rôle d’opposant au socialisme triomphant, pour relayer la moindre campagne anti-Hollande, pour pinailler à la moindre gaffe ou erreur, pour faire le militant de base.

En somme, je ne serai pas – et je suis convaincu que beaucoup de blogueurs qui comme moi sont plutôt à droite feront de même – un antihollandiste primaire, à l’instar de ces antisarkozystes qui pendant cinq ans, ont dénié à Nicolas Sarkozy la légitimité de son élection, et l’ont assimilé constamment à un fasciste.

Etant en désaccord majeur avec François Hollande sur certaines questions sociétales, en raison de valeurs qui me sont chères, à savoir le respect de la vie et de l’humanité, je serai en revanche -parmi d’autres – très vigilant sur ces questions. Pour le reste, et c’est triste à dire, son action sera probablement moins pire que celle de son prédécesseur dans certains domaines, comme par exemple ceux de la justice, de la gestion des prisons, et peut-être même sur la sécurité : ces cinq dernières années ont montré qu’il ne suffisait pas d’aboyer pour arrêter les délinquants…

7 Commentaires

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7 réponses à “Jean-Marc Ayrault et les « boules puantes »

  1. « Eh oui, tu l’auras remarqué, cher lecteur : quand on enquête sur la droite, c’est de l’héroïsme, du vrai journalisme, de l’investigation. En revanche, si tu as l’audace de vérifier si les promesses d’un président de gauche coïncident avec ses actions, c’est de la boule puante. En gros : du journalisme-poubelle scandaleux qui nous rappelle les heures les plus sombres de l’histoire, etc. » —> C’est un excellent passage. Je le note et je le reprendrai.

    En ajoutant que je trouverai dramatique que Ayrault ne soit pas premier ministre à cause de cette affaire, et que le poste échoit à une Martine Aubry que je ne porte pas tellement en estime…

  2. merci 🙂
    Personnellement, maintenant qu’Hollande est élu, cela m’indiffère un peu que ce soit X ou Y qui soit chargé d’appliquer sa politique. Cela ne changera pas grand-chose… Mais c’est vrai que le style Ayrault serait moins frontal que celui d’Aubry.

  3. Ce qu’oublie ce papier c’est (volontairement?) la déclaration totale de FH. Il a précisément dit qu’il ne souhaitait pas de ministres condamnés durant 10 ans. Après cette période de 10 ans il pourraient reprendre leurs actions. Comme vous l’avez souligné il a été condamné en 1997, nous sommes en 2012. CQFD.

  4. Pas du tout. Relisez l’interview. J’ai cité le passage intégral.

  5. Daniele Bastillette

    Me voilà un peu décue.J’ai voté pour François Hollande comme président car je voulais croire ai changement qui était annoncé et à d’une majorité irréprochable. Quelle déception de voir que François Hollande choisi en tant que chef du gouvernement Jean Marc Ayrault, qui n’est clairement pas irréprochable. Ce monsieur a clairement était l’objet d’une condamnation à 6 mois de prison pour fait de favoritisme. Vraiment décue !!!.

  6. Karl Antier

    Jean-Marc Auyrault a été réhabilité depuis, et cette condamnation n’a plus lieu d’exister ni d’être évoquée. Ceci d’après une mise à jour d’aujourd’hui (14/05/2012) du blog de Maître Eolas:
    « Donc […] Jean-Marc Ayrault peut se vanter d’avoir un casier judiciaire entièrement vierge, […] il est interdit à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de cette condamnation d’en rappeler l’existence »
    François Hollande peut donc le nommer en tant que Premier Ministre, ce qu’il a fait cette après-midi, sans que cela ne mette en défaut sa parole passée.
    Sujet clôt ?

  7. Elle n’a peut-être plus lieu d’être évoquée, mais elle l’a été… Eolas rappelle d’ailleurs l’ensemble des faits avant de dire qu’on ne peut pas le faire 🙂

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