Préserver le lien parents-enfants

meilleurdesmondesLes propositions récentes de Nicolas Sarkozy dans le domaine de la politique familiale ont suscité de nombreux commentaires, surtout à gauche où l’on s’est indigné d’une perte d’un acquis social : le congé parental.

Nicolas Sarkozy a en effet annoncé, au milieu d’un paquet de mesures telles que la création d’un statut de beau-parent, vouloir réformer le congé parental (qui permet à l’un ou l’autre des parents à rester avec l’enfant qui vient de naître, pendant une durée de trois ans). Le président de la République voudrait doper l’offre en matière de crêches, pour que les femmes aient vraiment la « liberté de travailler, ou en tout cas la liberté de choix :

Nous avons incontestablement augmenté l’offre de garde. Nous avons aussi développé les congés parentaux Ces congés ont une vertu immense : permettre aux parents qui le souhaitent de ne pas travailler pour s’occuper de leurs enfants.

Mais ces congés parentaux sont parfois aussi à l’origine d’un immense gâchis. Gâchis pour les femmes concernées. Parce qu’un congé parental de longue durée, c’est une rupture dans un parcours professionnel, qui peut se traduire par une diminution des chances de progresser dans la carrière, d’obtenir un meilleur salaire ou de retrouver un emploi. Parfois pour les familles, c’est un problème, parce qu’un congé parental c’est un salaire en moins et donc c’est le pouvoir d’achat qui diminue.

Gâchis pour la société dans son ensemble, parce que sont maintenues en dehors du marché du travail près de 800.000 femmes chaque année. Le taux d’activité des femmes qui ont deux enfants est 40% plus faible lorsque l’un de ces deux enfants a moins de trois ans. Je sais bien que l’on parle du « libre choix », mais il y a beaucoup d’hypocrisie derrière cette expression, parce qu’il y a beaucoup de femmes qui quand elles entendent dire « libre choix » savent qu’il n’y a aucun libre choix.

Plutôt que de voir dans cette proposition une énième menace pour le droit des femmes, considérées en tant qu’individu, on peut s’inquiéter d’une attaque en règle, sous un fallacieux prétexte économique, du lien essentiel qui doit être préservé entre parents et enfants. Certains voient dans le congé parental un obstacle à la liberté des femmes, une forme de perpétuation de la domination de l’homme, mais c’est oublier une dimension fondamentale de ce droit créé en 1977 : la création du lien parents-enfants. Justement, son objet est de permettre à un parent, souvent la femme, c’est vrai, de retrouver son poste de travail à l’issue des trois ans. C’est une garantie, pas une chape de plomb…

Les premières années étant déterminantes pour l’éducation des enfants, et partant, pour la cohésion des familles, il paraît vital pour une société de permettre aux parents, voire les encourager à exercer ce droit, dans la mesure, bien sûr, de leurs envies et de leurs possibilités.

Mathieu L. le dit assez bien :

Il me semble que la construction et l’entretien de crèches sont finalement plus coûteux que le fait de laisser des femmes ou des hommes, peu payés, chez eux à gérer leurs enfants. On aura sans doute une baisse des cotisations sociales, mais une belle hausse des impôts locaux par un effet de second tour. Il n’est pas dit non plus qu’il ne soit pas plus mauvais de laisser des très jeunes enfants avec des inconnus à la crèche que de leur permettre de vivre cette période avec leurs parents.

Enfin, dernière analyse, et pas la moindre, Sarkozy se plaint que 800 000 femmes restent hors du marché du travail. D’abord, il s’agit d’un choix, qui retire peut-être un peu de force de travail au pays, mais qui épanouit aussi des centaines de milliers de familles et d’enfants.

Certes. Mais cet épanouissement n’est pas quantifiable, et a bien du mal à émouvoir nos dirigeants, qui se soucient bien plus de « politique de statistiques » que de « politique de civilisation », bien d’avantage de concret que d’abstrait. C’est quand même dingue, de sans cesse favoriser l’individu face au groupe, sans se soucier des conséquences négatives qu’on passe pourtant notre temps, ensuite, à tenter de soigner :

Le problème, c’est que la famille est sans cesse envisagée comme un coût, là où elle devrait être vue comme un investissement, une chance, quelque chose de positif. Aider les familles à s’en sortir, les soutenir, les accompagner, leur donner les moyens d’assurer une bonne éducation à leurs enfants, c’est rendre service à un pays. C’est économiser sur d’autre postes de dépense.

Coïncidence ou pas, la commission européenne vient opportunément de publier une étude sur les différents systèmes utilisés par les Etats-membres de l’Union en matière de scolarisation des jeunes enfants. Alors que 87% des enfants de 4 ans étaient scolarisés dans les pays membres, en 2006, la commission devrait encourager les Etats dans la voie de l’enseignement pré-primaire, dans un souci de réduction des inégalités sociales. Voici ce que dit l’étude :

Un enseignement préprimaire de qualité comporte de grands avantages : il offre à tous les enfants une bonne base pour l’enseignement et la formation tout au long de la vie et il contribue à réduire le fossé éducatif pour les enfants à risque. Il semble cependant que les enfants issus de minorités éthniques et appartenant à des familles défavorisées, ainsi que les enfants des familles monoparentales, participent moins à l’enseignement et l’accueil destinés aux enfants en bas âge.

« Cette étude pose la question du choix politique à faire au niveau européen : favoriser une garde parentale prolongée des jeunes enfants ou, au contraire, promouvoir les structures d’accueil », écrit La Croix. Mais tout ne se passe-t-il pas comme si on avait déjà fait ce choix, sans oser le dire?

Les évolutions contemporaines de notre politique familiale n’ont pas empêché les Français et Françaises de maintenir une natalité forte, du moins en comparaison de nos voisins européens. Mais la tentation est forte, pour l’Etat, de contrôler l’éducation des enfants, et sous couvert d’égalité et de liberté, de vouloir les prendre en charge lui-même dès le plus jeune âge.

D’ailleurs, l’idée de Nicolas Sarkozy de revoir les financements de la politique familiale (en clair : ne plus la faire peser en partie sur les entreprises), sans préciser si les ressources supprimées seront compensées, ni comment, montre bien le peu de cas que ce gouvernement fait de la famille. Il suffit d’écouter parler Nadine Morano cinq minutes.

12 Commentaires

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12 réponses à “Préserver le lien parents-enfants

  1. Salut Chafouin,

    Merci pour le lien et pour la longue citation.

    Ce besoin d’optimisation est assez pénible et, justement, amène à la remise en cause des politiques de civilisation. Tout cela coûte il est vrai.

    Par contre, attention : je n’ai pas dit qu’il était bon que toutes les familles puissent s’occuper de leurs enfants. Dans certains cas, il vaudrait mieux que les enfants soient à la crèche. Cependant, dans la majorité des cas, les parents, à cet âge-là, peuvent très bien faire.

    A bientôt,

  2. Adrien

    Vous avez bien fait de choisir comme image la couverture du « Meilleur des Mondes » de Huxley. Voilà qui colle parfaitement avec votre propos prêtant au gouvernement les pires intentions …

  3. @Adrien

    Je ne prête pas cette intention au gouvernement, je pense juste que c’est la direction que nous prenons sans le vouloir, à cause des tâtonnements de notre politique familiale, qui n’a pas d’ambition ni surtout de cohérence d’ensemble.

    @Mathieu L.

    Les parents peuvent le faire, en effet… Donc autant les laisser faire là où ils sont compétents 😉

  4. Ah non, vous avez mal lu, je ne dis pas que le congé parental est un obstacle aux droits de la femme, je dis que le congé parental tel qu’il est aujourd’hui constitue une forme d’avantage devenue handicap aux droits des femmes,
    puisque rien ne l’accompagne. Il faut, je crois l’améliorer et surtout, améliorer tout le reste (l’égalité salariale par exemple, ça en découle également, c’est un critère qui peut déterminer un choix de vie).

    Quant au lien parents/enfants, qui serais-je pour nier son importance, moi qui suis père de deux petites filles. Il est essentiel, oui, mais la sociabilisation des petits l’est à mon avis tout autant. (celle des adultes et mères aussi).

  5. Ceci dit, je le trouve bon votre article (mis à part ça) ; c’est une question bien plus complexe qu’on ne le pense.

  6. Dorham a dit : »je dis que le congé parental tel qu’il est aujourd’hui constitue une forme d’avantage devenue handicap aux droits des femmes »
    Je suis parfaitement d’accord ! Avant même la fin de mon congé parental, je ne raconte pas toutes les pressions subies pour démissionner, dans une grande entreprise du CAC 40 connue pour ses avancées sociales. Ca ne se fait de prendre un congé parental quand on est cadre. Et je ne l’ai réalisé que quand je me susi retrouvée dans un organisme pour une reconversion (durant mon congé). Le nombre de femmes même non cadre qui ont eu des problèmes à leur retour. Pour des patrons, les femmes non seulement s’absentent pour leur congé maternité (encore ça ça passe) mais s’absentent pour éventuellement un congé parental et puis les enfants sont malades. Pas un bon investissement pour des chefs de service soucieux de préserver la perrenité et la bonne marche d’un service. Pourquoi crois-tu que beaucoup de femmes deviennent fonctionnaires ? ou bien il faut faire d’autre choix qui remmettent en cause toute la vie familiale, ce que j’ai fait mais tout le monde ne peut se le permettre.
    Donc sur le fond je suis parfaitement d’accord avec toi pour préserver le lien enfant-parent, maintenant face à la réalité du monde du travail c’est de l’hypocrisie.

  7. cilia

    Chafouin,

    Ah ben voilà ! Je ne comprenais pas ton silence sur ce sujet 😉

    De mon point de vue, ce n’est pas une énième menace pour le droit des femmes, ni une attaque en règle du lien essentiel parents-enfants, mais plutôt une hypocrisie non justifiée.
    Sarko parle d’hypocrisie quant à certaines applications du congé parental. Je le suis volontiers dans le diagnostic, mais certainement pas dans le traitement.
    J’ai écouté son discours que tu mets en lien (grand merci au passage) et je suis d’accord avec lui sur beaucoup de points.
    Mais sur le sujet du CP, qui, dans le discours ne dure que quelques secondes, je peine à ne pas le caricaturer par :’ oh ! ces pov’ femmes qui s’arrêtent de travailler et flinguent leur trésorerie et leur carrière , c’est trop triste !… tiens ! je vais régler ce drame en réduisant la durée du congé parental ! ’
    C’est moi ou c’est grotesque ?

  8. @Thaïs

    Quoi qu’on fera, ce seront toujours les femmes qui porteront les enfants… Donc à moins de vouloir contrer la nature, je ne vois pas beaucoup d’autres solutions à part faire en sorte de pouvoir concilier cette essence avec le fait de vouloir travailler.

    Ce qui signifie : garantir le droit des femmes à retrover leur trvail à l’issue de ce congé. Je trouve la loi française, telle qu’elle est aujourd’hui, particulièrement protectrice. De qualité. Peut-êre que certains l’appliquent mal, la violent, que sais-je, mais je ne crois pas que la solution, dans ce cas, soit de réduire le champ d’application du « CP »!

    Ce qui est un handicap pour les femmes, ce n’est pas le congé parental, c’est l’attitude rétrograde de certaines entreprises! Dans la mienne, je vois des collègues féminines prendre ces congés, poru leur plus grand plaisir. J’en vois aussi certaines qui ne le prennent pas, chacun son choix. Il est évident que c’est pénible pour l’organisation du travail, c’est forcément pénalisant pour les femmes, mais encore une fois, c’est ainsi et je ne vois pas ce qui pourrait changer tout cela. A part un changement des mentalités.

    A part de mettre les enfants en couveuse comme dans « Le meilleur des mondes »… 😉

    @Cilia

    J’attendais d’avoir un peu de temps pour réfléchir sur cette question! Comme j’ai une petite semaine de repos, j’en profite 😉

    Sinon on est bien d’accord : la durée du congé parental ne remettra pas en cause ce « drame », comme tu dis. La simple maternité est un inconvénient pour la carrière des femmes… Donc soit on tort la réalité et on fait en sorte que les femmes n’enfantent plus, soit on l’accepte et on tâche d’adapter la nature à la vie en société…

    @Dorham

    Que ce soit clair, j’ai beaucoup aimé votre article qui montre, comme vous le dites, que le sujet est complexe. Certaines femmes vivent en effet très mal ce congé, qui peut se révéler être une « erreur » vu leur situation personnelle. Question de mentalité, aussi. je ne dis pas que ce congé doivent être généralisé, mais je pense qu’il faut veiller à ce que les volontaires puissent le conserver tel quel. Je serais également pour augmenter le revenu, car 500€ par mois, faut pas se moquer du monde. Dans ces conditions, il est probable que plus d’une femme se sente inutile, alors que je trouve que son choix est utile pour la société.

    Sinon, vous dites « Quant au lien parents/enfants, qui serais-je pour nier son importance, moi qui suis père de deux petites filles. Il est essentiel, oui, mais la sociabilisation des petits l’est à mon avis tout autant. (celle des adultes et mères aussi). »

    On parle de trois ans, pas de la vie entière! Et qui dit congé parental ne dit pas forcément vivre reclus chez soi…

  9. 2 mots:

    Sarkozy dehors!

    C’est inutile, je n’ai pas lu l’article, ni les commentaires, mais je trouvais ça « beau » de les écrire… pardonnez ce geste absurde..
    enfin ça fait du bien de les « écrier » ! 🙂

  10. @Arnaud

    Espèce d’antisarkozyste primaire! 😉

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