Les ficelles de l’info (13) : Martine Aubry et les journaux locaux

AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET

On dit souvent de Martine Aubry qu’elle est autoritaire et entretient des rapports complexes et tendus avec les médias. Au niveau local, c’est peu dire que la maire de Lille joue le chaud et le froid vis à vis des médias locaux. La première secrétaire du PS ignore largement la presse régionale, mais n’hésite pas à l’attaquer à la moindre virgule qui lui déplaît. Le tout, dans une ambiance de verrouillage et de centralisation de l’info, accompagnés d’une ultra-communication qui rappelle un certain… Nicolas Sarkozy.

Martine Aubry défend la société du « Care » pour toute la société… sauf les journalistes. Le maire de Lille, première secrétaire du Parti socialiste, n’aime pas les journalistes, qu’elle a déjà traités en public « d’abrutis ». Au national, on sait qu’elle n’hésite pas à rembarrer ceux qui ne lui plaisent pas, et à s’indigner ouvertement quand la couverture médiatique à son endroit ne lui convient pas, comme cela avait d’ailleurs été étayé dans le livre Hold-uPS, arnaques et trahison., dont les auteurs écrivaient ceci :

Un climat de défiance prévaut à l’égard de la presse, d’autant plus mal compris par les journalistes que les socialistes entonnent régulièrement le couplet d’un Nicolas Sarkozy faisant pression sur les médias, jouant de l’intimidation et de la menace.

Ambiance…

Au niveau local, c’est peu de dire que Martine Aubry joue au potentat local avec les journalistes. En cela, elle ne se distingue guère, il est vrai, de Nicolas Sarkozy. Elle dicte l’agenda médiatique, avec une com’ efficace qui décide quand les divers sujets seront d’actualité ou non. C’est assez facile à réaliser : il suffit de refuser de répondre quand un sujet est déplaisant, mais à ouvrir largement les vannes dès que c’est positif. Le cabinet d’Aubry est ainsi chargé de verrouiller toute l’information, pour éviter les fuites et les discordances au sein de la majorité municipale. Le moindre employé du service des espaces verts à qui un journaliste pose une question renverra ce dernier au service communication de la Ville. Un peu pesant, quand on cherche  à obtenir des informations qui ne soient pas formatées ou pré-mâchées. Bref, Aubry a beau jeu, au national, d’appeler à respecter le droit d’investigation des journalistes, quand elle fait tout pour l’empêcher de s’épanouir à Lille.

Et surtout, elle n’hésite pas à intervenir directement quand les sujets ne lui plaisent pas. Ces dernières semaines, les rédacteurs en chef de la Voix du Nord et de Nord éclair ont eu les oreilles qui ont sifflé après avoir subi de véritables gueulantes de la part du maire de Lille. Le tout, pour des pécadilles. Le dernier épisode en date a carrément valu un droit de réponse à Nord éclair, sur une demi-page! Tout ça parce que Martine Aubry s’est rendue compte, quinze jours après un discours prononcé au dîner du Crif, que son refus du boycott d’Israël (au demeurant tout à fait respectable) passait mal dans sa majorité politique locale. Elle est allée jusqu’à accuser la journaliste concernée d’avoir mal retranscrit ses propos… qui avaient pourtant été enregistrés. Manque de bol. Vous verriez Nicolas Sarkozy agir de la même façon, dès qu’il est mis en difficulté par un journal? Mais on crierait à l’indépendance de la presse, on s’indignerait de ce harcèlement vis à vis des journalistes.

Il est vrai que les rapports sont tendus depuis plusieurs années avec ces deux titres. Le premier, qui a une réputation de centre-droit, a connu toute une période de guerre ouverte avec le Beffroi de Lille, il y a quelques années. Le second, elle l’ignore totalement. De manière générale, quand le climat n’est pas à l’hostilité, il est à l’indifférence : si vous êtes journaliste local et que vous souhaitez interroger Martine Aubry, vous pouvez vous lever de bonne heure. Ou vous y prendre trois années à l’avance. Le temps que le maire de Lille pèse soigneusement le pour et le contre…

20 Commentaires

Classé dans Les ficelles de l'info

20 réponses à “Les ficelles de l’info (13) : Martine Aubry et les journaux locaux

  1. Joli billet, interressant et instructif… A faire suivre 🙂

  2. Je crains que ça ne s’arrange pas dans les années à venir. La communication prend une place croissante en politique (comme partout ailleurs, en fait). Le métier se professionnalise et ne se limite plus au duo publicitaire + attachée de presse.

    Sur Twitter on peut encore trouver quelques bribes de paroles vraies… Pour combien de temps ?

    En ce sens, Sarkozy n’était peut-être pas tant une exception qu’un précurseur…

  3. René de Sévérac

    Vous évoquez le conflit entre politiques et journalistes.
    Il est naturel : il s’agit de la lutte pour le pouvoir.

    Il est dit que 94% des journalistes sont de gauche.
    Ce qui laisse à croire qu’il y a (ou devrait y avoir) connivence entre Martine et le journal de Nord.
    Si l’on raisonne à partir de l’axiome de Maurice Druon
    «Il existe deux partis de gauche en France, dont l’un s’appelle par convention la droite», on aboutit à la loi Sarko=Aubry=journaliste, ce qui ne marche pas.
    Le journaliste dispose de l’avantage de pouvoir mettre à genoux le politique et cela dans tous les secteurs du jeu.

    Je garde en mémoire le rencontre (TV) de trois dames (ElKrief, Sinclair et Chabot) se congratulant : l’une se vantant d’avoir « fait plier » Rocard sous l’assaut.
    N’est-ce pas cela la lutte des classes ?

  4. Obi-Wan Kenobi

    @ René de Séverac :
    « Il est dit que 94% des journalistes sont de gauche. » Vous le sortez d’où, ce chiffre ?

    Pour le reste, on a bien du mal à comprendre où vous voulez en venir…

  5. René de Sévérac

    « 94% » il s’agit d’un sondage dont je ne puis donner le source.
    Pour le reste, je ne puis vous faire un dessin. Cela dit, mon expression est sûrement maladroite. Excusez-moi.

  6. Nico

    Bon billet. Je partage l’analyse, mais j’ajouterais quand même que si la com’ est verrouillée (et cela maintenant dans n’importe quelle ville, même des communes de 10 000 habitants fonctionnent ainsi), c’est aussi de la faute des journalistes et rédactions qui ont accepté à un moment donné l’information livrée par les chargés de com’ et lors des conférences de presse… Si la presse refusait de se plier à cette règle et désertait certaines conférences de presse, peut-être que nos politiques et pros de la com’ devraient changer leur manière de fonctionner. Enfin, c’est peut-être une vision idyllique de notre métier !

  7. ValLeNain

    Très bien de rééquilibrer la balance un peu ! 😉

  8. Obi-Wan Kenobi

    @ René de Séverac :
    le seul sondage dont je me souvienne avait été réalisé par Marianne en 2002 et ne donnait « que » 70 % de journalistes de gauche. On était alors en pleine jospinophilie. C’est pour cette raison que ce chiffre de 94 % me semble très étonnant.

    @ Nico :
    je ne peux pas être en désaccord avec vous. Même si il est tout à fait possible d’assister à une conférence de presse et de ne pas recracher bêtement la communication qu’on vous y a servie. ça demande un peu de travail, mais je ne désespère pas totalement de la profession !

  9. Obi-Wan Kenobi

    @ Nico :
    j’ajoute aussi qu’il est permis, lors d’une conférence de presse, de poser des questions dérangeantes. Là, ça demande un peu de courage…

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  11. @Falcon

    Merci vieux!

    @Henry

    Je crois qu’il y a deux choses : la com’ n’empêche pas un discours de vérité. Ni le respect des journalistes. M. Aubry me donne le sentiment de n’avoir ni l’un ni l’autre. Sur cette histoire de Boycott, elle ment à dessein. C’est un problème.

    @René

    Pour moi le journaliste n’est pas concerné par les enjeux de pouvoir : il est là pour raconter ce qu’il se passe. Sauf que lorsqu’on lui met du bâton dans les roues, c’est plus compliqué. J’admets que ça n’empêche pas l’investigation, toutefois. Bien au contraire…

    Le chiffre de 94% me semble largement excessif, j’aimerais savoir d’où il sort! Mais en l’occurrence, ce n’est pas une question de gauche/droite. Ce n’est pas parce qu’un journaliste est proche des idées de gauche qu’il va dire amen à tout ce que dit un homme ou une femme politique de gauche, ni vouloir faire tout le temps son jeu. C’est bien plus compliqué que ça.

    @Nico

    C’est vrai que l’agenda médiatique est dicté par les institutions et que les médias ont une part de responsabilité là dedans. Si on parle tous en ce moment des violences conjugales, par exemple, c’est uniquement parce qu’un institution a décidé d’en faire une journée nationale demain…

    Ceci dit ce n’est pas forcément mauvais si ça ne supprime par les sujets d’initiative, ou comme dit Obi-Wan, si ça ne supprime pas l’impertinence ou la liberté de faire ce qu’on veut à partir du matériau ramassé en conférence de presse.

  12. @ chafouin
    On est bien d’accord (je suis un peu communicant, à mes heures perdues, je ne vais donc pas dénigrer ce noble métier 😉

    @rené et obiwan
    Je crois que ce chiffre, de 2002, sortait bien de Marianne et était effectivement de plus de 90%. Je l’avais lu dans la revue de presse de la revue Commentaire.
    Mais que les journalistes soient majoritairement de gauche (même si ce n’est surement pas aussi déséquilibré que ça) n’est pas un problème en soi. Quelque part, pour caricaturer un peu, que les plombiers soient de droite ou de gauche, on s’en fout. De même, si les journalistes font bien leur travail, la question de leur appartenance politique ne se pose pas.

  13. René de Sévérac

    Chafouin « Pour moi le journaliste n’est pas concerné par les enjeux de pouvoir ».
    Je ne vais pas insister.
    Et mon com’ pouvait être maladroit.
    Toutefois, s’il existe des « pisse-copies » honnêtes croyez bien que les ténors sont réellement au combat.

    Merci, Henry, j’ai cherché sans succès.

  14. Nico

    @Obi-Wan et Le Chafouin : d’accord avec vous deux, bien entendu. On peut parfois ramener de bonnes choses de conférences de presse si on ne recrache pas tel quel le discours et que l’on « ose » poser de bonnes questions (enfin, faire son boulot en fait). Petite anecdote qui me rappelle mes jeunes années (même si je ne suis pas bien vieux) : un jour, débarquant d’une locale de campagne non encore débordée par la com, j’arrive dans une grande ville française. A l’agenda, Cdp, cdp, cdp, cdp, cdp. Et ma chef d’agence qui les distribuait à tout le monde. J’ai donc appris à ce moment ce que voulait dire cdp et que la conférence de presse allait rythmer mes journées pendant quelques mois. Et que c’est malheureusement souvent au détriment de l’initiative (même si c’est aussi au journaliste de s’imposer face aux demandes de sa rédaction en chef, je vous l’accorde).

  15. Obi-Wan Kenobi

    Merci Henry le Barde, même si, de mémoire, le chiffre de Marianne en 2002 était plus proche de 70 %. Comme il y a de bons plombiers et de mauvais plombiers, il y aura toujours de mauvais journalistes plus complaisants avec les représentants des idées qu’ils défendent. Pour ma part, dans l’exercice quotidien de cette belle profession, j’essaie le plus possible d’être en désaccord avec mon interlocuteur : c’est le meilleur moyen d’avoir un dialogue riche et intéressant, même si pour certains, c’est déstabilisant (ils sont tellement persuadés d’avoir raison et d’avoir des arguments en béton armé qu’ils sont désemparés de ne pas me voir leur sauter au cou). C’était assez comique lors de la campagne sur le traité constitutionnel européen : dans chaque camp, on me regardait d’un mauvais oeil.

    Enfin, tout ça nous éloigne un peu du sujet initial. Pour info : tous les élus locaux n’ont pas l’attitude de Martine Aubry et c’est heureux. Certains se font un devoir de répondre systématiquement aux sollicitations des journalistes, que le sujet soit plaisant ou déplaisant, et dans la journée s’il vous plaît et sans avoir à passer forcément par la case « service com' ». Martine Aubry, elle, me doit encore quelques réponses (comme quoi, s’y prendre même trois années à l’avance n’y change rien, sur certains sujets, c’est « circulez, y a rien à voir »).

  16. @obiwan

    Et il y a aussi des plombiers polonais… 🙂

    « j’essaie le plus possible d’être en désaccord avec mon interlocuteur : c’est le meilleur moyen d’avoir un dialogue riche et intéressant. »

    Tiens! J’ai un peu la même technique. Le sens de la contradiction sans doute.

  17. Obi-Wan Kenobi

    Alors là, non, je ne peux pas être d’accord avec toi ! C’est tout le contraire ! 😉

  18. Lecontempteur

    Sur les journalistes de gauche:
    J’en suis, c’est ma sensibilité, je suis citoyen par ailleurs.
    MAIS : l’avantage du pouvoir, c’est que souvent, il corrompt les idées. A tout le moins il les met à l’épreuve et parfois elles ne resistent pas. Souvent des « systèmes » s’installent dans le temps. C’est un peu cynique comme vision du politique. Mais d’experience, je sais que ça existe.
    Du coup, ça ne me donne aucun mal à pouvoir éventuellement enquêter sur des gens qui sont supposés porter ma sensibilité. La recherche des contradictions avec le discours, les double-discours, les discours de façade, tout ça, c’est le quotidien du journaliste, normalement. C’est dans cet état d’esprit en tous cas que je me rends aux conférences de presse politiques. Et c’est une saine démarche, je pense…

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