Désenchantement politique

Ils regrettent tous l’abstention, la main sur le cœur, après ce premier tour des régionales. Parlent d’exigence démocratique. Evoquent leur déception. Leur tristesse, pour les plus hardis. Mais dans le fond, ils n’en ont rien à faire. Mais rien. Tant que les mécontents bouderont les urnes, ceux qui sont aux commandes resteront tranquilles. Ils pourront continuer leur tambouille tranquillement, à l’abri des regards.

Comme d’autres, je n’ai pas suivi la soirée électorale à la télévision, hier. La vraie raison, c’est parce que je travaillais sur les résultats dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais si j’avais pu, je ne l’aurais pas regardée non plus. Pas envie de voir les experts de l’Ifop et du Cevipof nous répéter les mêmes âneries soporifiques, improvisées sur la base de tendances absolument pas affinées. Pas envie de voir les écolos et les cocos négocier, à peine la campagne terminée, et les critiques de la politique socialiste déjà oublié, les meilleurs places possibles. Pas envie de voir le Front national jouer les vierges effarouchées de service. Pas envie de voir le cirque politique habituel.

Suis-je désenchanté de la politique? Sans doute. Et apparemment, je ne suis pas le seul. Je me suis déplacé pour voter. Enfin, pour mettre une enveloppe vide dans l’urne. Quand on ne se sent représenté par aucune liste, que faire d’autre? D’autres ont fait un choix plus radical : ils sont restés chez eux, ont vu des amis, sont allés au cinéma, ont visité une exposition. Ils ont assumé leur désintérêt total pour ces élections, quand je me suis senti forcé d’aller accomplir mon pseudo devoir civique. Doit-on les blâmer, quand on a des responsables politiques pareils? L’abstention, on en parle les soirs d’élection, et on l’oublie toujours dès le lendemain.

Le premier enseignement de ce premier tour, c’est donc le retour à la situation d’avant 2007, question confiance des électeurs dans leurs représentants politiques. A la dernière présidentielle, on avait observé un regain d’intérêt pour la politique, avec en toile de fond le souvenir douloureux de 2002. Beaucoup de gens avaient été séduits par le discours de Nicolas Sarkozy. Et si, enfin, on tenait celui qui ne mentira pas, qui dira ce qu’il fera et fera ce qu’il dira? Las! Trois ans après, force est de constater que Sarkozy est comme les autres : un beau parleur qui n’a rien fait pour rendre la « République irréprochable », et qui a échoué dans son combat pour le pouvoir d’achat. Les impôts n’ont pas baissé, le chômage augmente, le déficit se creuse, les services publics reculent, et en plus, on réalise un grand emprunt! Pas étonnant, dans ces conditions, que nombre d’électeurs retournent au bercail, c’est-à-dire au Front national! Et que d’autres aillent à la pêche plutôt qu’au bureau de vote.

Sur 43 640 059 électeurs, il y a donc eu 23 407 608 personnes qui se sont abstenues. 53,64% des électeurs. Quand on regarde un peu les résultats globaux, on constate que les vrais scores réalisés par les différentes formations sont bien plus faibles que ce qu’on a dit. En calculant le pourcentage par rapport aux inscrits, plutôt qu’aux votants, et en occultant volontairement le score des listes marginales divers-gauche, divers-droite, régionalistes ou d’extrême-droite, on obtient ceci :

Ps et listes d’union de la gauche 13%

Majorité présidentielle 11,61%

Europe écologie 5,44%

FN 5,10%

Front de gauche 2,61%

MoDem 1,87%

Blancs et nuls 1,73% (tout de même!)

Extrême-gauche 1,52%

Vu comme ça, bien sûr, ça fait nettement moins joli que quand les experts de lapolitique nous parlent du « meilleur score jamais réalisé sous la Ve République par la gauche ». 22,4% si l’on additionne le total de la gauche, en prenant en compte les listes divers-gauche, ça ne paraît pas être un score époustouflant. Il est vrai qu’en revanche, celui de l’UMP apparaît d’une faiblesse absolue. Surtout que si l’on ajoute les petites listes divers-droite, on atteint seulement un score de 12,16%. Pour un président en exercice, le camouflet est terrible. Ajoutons à cela le fait que huit ministres seront probablement battus dimanche prochain…

Il n’est pas inutile non plus, comme l’a fait Versac, de comparer les scrutins de 2004 et 2010 en partant des chiffres bruts, c’est-à-dire du nombre d’électeurs qui se sont portés sur telle ou telle liste. Les résultats sont surprenants, allez voir. Là aussi, cela fait relativiser l’importance du vote socialiste, et le vrai-faux retour du FN, qui a perdu 1,3 millions d’électeurs entre les deux élections! Et selon Versac, ce sont ainsi 5 millions d’électeurs qui se sont volatilisés entre ces deux scrutins…

Le deuxième enseignement de ce scrutin, c’est cette place béante au centre-droit, qui ne demande qu’à trouver preneur. Nombre d’électeurs ne se reconnaissant ni dans le PS, ni dans l’UMP, ni dans aucun autre parti se sont abstenus dimanche. Certains ont rallié Europe écologie, sans doute. D’autre ont peut-être voté pour des listes divers-droite comme celle de Nicolas Dupont-Aignan,qui au passage réalise un bon score en Ile-de-France avec 4,15% des voix. Mais l’essentiel ce cet électorat ne s’est pas déplacé. Authueil parle à juste titre d’un « électorat en déshérence ». Un électorat trahi par François Bayrou et ses sbires du MoDem, qui ont reçu une fessée bien méritée hier soir. La tactique du « ni droite ni gauche, mais plutôt avec la gauche » a fini par lasser. De là à imaginer un retour de la défunte UDF, il y a un pas qu’on aimerait pouvoir franchir. L’UMP va devoir cesser de vouloir être hégémonique à droite si elle veut rester au pouvoir. Hervé Morin et le Nouveau-Centre ont clairement une belle carte à jouer à ce niveau. La saisiront-ils?

12 Commentaires

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12 réponses à “Désenchantement politique

  1. Sanksion

    L’abstention vaincra. La prochaine fois, on fera 60%, puis à long terme 70% et la légitimité des élus sera du poulet. (enfin, elle l’est déjà mais ce sera plus flagrant)

  2. jean316

    Oh, je suis même pas sûr Sanksion. Je pense que même quand l’immense majorité de la population, abrutie par les médias et vaguement consciente que les hommes politiques ne sont plus que des fonctionnaires de l’Empire otano-germanique, même quand il y aura à peine plus de votants que d’élus, 99% d’abstention, les hommes politiques continueront de dire « les français ont voulu dire que et je les comprends ! » -après avoir regretté pendant 12 secondes la progression de l’abstention.

  3. @Sanksion

    Je n’y crois pas trop, moi, à votre théorie. D’ailleurs, les élus ne sont déjà pour la plupart pas représentatifs de quoi que ce soit.

  4. @ chafouin,
    Nous nous sommes permis de reprendre la partie chiffrée de votre billet pour « notre regard sur les élections ».
    Si vous avez un moment…
    http://www.citeetculture.com/article-notre-regard-sur-les-elections-46801208.html

  5. Scrutin Sarkozy Midterm: plus Flop, je meurs ? ( Petit Sondage: http://www.pnyx.com/fr_fr/poll/575 )

  6. Théa

    J’ai voté dimanche dernier, avec désenchantement. Je m’étais déplacée exprès de ma ville d’étude pour revenir chez moi, en train, à une heure de là, ce qui m’a plus embêté qu’autre chose, surtout compte tenu des listes et propositions.
    Au bureau de vote, que des vieux, je suis la seule personne de moins de vingt cinq ans. J’ai eu l’impression (fugace?) de voir de l’approbation dans le regard des responsables.
    Enfin une jeune avec un esprit civique !
    Et j’y retourne dimanche prochain !

    Enfin, grâce à cela, je fais partie des quelques 40% qui ont voté et je me retrouve du coup dans la minorité ! sympa !
    Si des jeunes veulent se distinguer des autres, ils peuvent sans problème exercer leur droit civique et ils passeront pour des originaux !

  7. @Théa

    Je me retrouve complètement dans ce commentaire! Moi ausi j’ai eu le sentiment de passer pour un extraterrestre… Un non-retraité qui vote!

  8. Pedro

    Bonjour, juste une idée comme ça…
    Pour moi s’il y a de l’abstention, c’est car il y a du désintérêt, mais c’est peut-être aussi car le moyen utilisé (bureau de vote) est complètement obsolète. A l’heure ou on nous fait déclarer nos impôts sur le net, ou nous consultons nos comptes sur le net, achetons sur le net, pourquoi ne pas voter sur le net ?
    Bonne journée (dsl si hors sujet).

  9. @Pedro

    Voter est un devoir civique. Il implique un geste fort du citoyen. Je pense que c’est intéressant de faire les choses en collectivité. De voter publiquement. Et puis, ça limite les risques de fraude.

  10. S1ned

    @ Pedro

    Juste un fait: aux USA ils votent sur ordinateur, et il y a deja des soucis.
    Quand à internet, n’en parlons pas. Un petit programme pirate ton ordinateur, en disons 5 min, puis il vote.
    Aucun avenir donc dans cette solution.

    –> Chafouin.
    Peut-être aussi que les gens ne voient pas l’intérêt des régionales, c’est bcp moins concret que les présidentielles ou autres… Je ne suis pas sûr que les gens, et les jeunes en particulier, savent quel est le rôle de la région…

  11. @s1ned

    Ouais mais il y a un moment où les gens doivent se prendre en main… Essayer de comprendre. Ce que fait la région est très concret. rien que les logements et les lycées, ce sont des thèmes qui touchent de très près à la vie des gens. Mais en effet, ça n’apparaît pas très politique, mais davantage technique.

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