Twitter et Facebook, c’est bien mais ça va trop vite

Voilà un bon exemple qui montre que Twitter et Facebook sont d’excellentes caisses de résonnances, mais certainement pas des sources fiables d’information. Hier soir, les internautes ont été bien plus rapides que les journalistes pour réagir après le gros « boum » qui a été entendu dans la région lilloise. Mais là où les médias traditionnels ont pris leur temps pour chercher à confirmer l’information, les plus folles rumeurs ont circulé sur Twitter. De quoi relativiser le rôle de ce média dans la transmission de l’info.

Twitter et Facebook vont vite. Très vite. Trop vite. Hier soir, si l’on s’était contenté des réseaux sociaux comme sources d’informations – expérience que tentent actuellement cinq journalistes de radios publiques francophones – on aurait vite cru le Nord en proie à une guerre civile, une attaque nucléaire ou une catastrophe industrielle.

Entre 22h30 et 23h, plusieurs déflagrations ont été entendues autour de Lille, mais également du côté d’Arras, et en Belgique, près de Mouscron. Immédiatement, la machine s’est emballée sur Twitter et Facebook. Sur ce dernier, des groupes se créent en quelques instants, atteignent pour certains mille membres en quelques heures, et les témoignages affluent. Pour ne rien dire, évidemment. Sur le premier, les mots clefs #explosion, #boum et #lille sont rapidement arrivés en tête des « tags » les plus utilisés au niveau francophone. En remontant le fil de la conversation, on pouvait se demander si notre ville avait été rasée, et pourquoi on conservait malgré tout une connexion internet. Certains évoquent l’explosion d’un immeuble à Ronchin, au sud de Lille. L’info est relayée par des dizaines d’internautes, sans être vérifiée.  D’autres parlent du crash d’un avion sur l’aéroport de Lesquin, en allant jusqu’à sourcer malhonnêtement l’info chez France 3. Même le compte twitter du gratuit Métro relaie l’info! En expliquant un peu plus tard : « Ce n’est qu’un RT, pas une information vérifiée… Il faut savoir faire la nuance… » Hum, alors dans ce cas, si on retransmet l’info sans la vérifier, on comprend mieux pourquoi celle-ci est gratuite.

J’ai la flemme de chercher toutes les références, mais d’autres encore ont parlé de flammes, assurant les voir de leur fenêtre. On croit rêver. Comme l’écrit le blog de PM, « si, au départ, le but des messages postés était de savoir réellement quelle était la source de la déflagration afin de satisfaire une curiosité légitime ou s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un évènement tragique et grave, très vite les non lillois et ceux qui ne s’inquiétaient pas outre mesure d’une éventuelle catastrophe s’en sont donné à coeur joie pour lancer les rumeurs les plus farfelues jouant sur la confusion et  l’absence d’information confirmées. »

Twitter et Facebook, hier soir, ont joué au final le rôle de formidable caisse de résonnance de rumeurs. Avec, on vient de le voir, la complicité de certains médias un peu paresseux, qui en la propageant lui ont donné du crédit. Et le pompon, c’étaient ces twitts ironiques glorifiant le rôle de Twitter et raillant les journalistes forcément « couchés à cette heure-là ».

Or ceux-ci n’étaient pas couchés : ils vérifiaient l’info. Et ils ont fini par la donner, ici et  : il s’agissait vraisemblablement d’un ou plusieurs avions militaires qui au cours de manoeuvres, ont dépassé le mur du son. L’info est sortie un peu tard, quand on cherche à être informé en temps réel et de manière immédiate. Mais elle est sortie. A 0h22 chez Nord éclair, et 0h36 chez la Voix du Nord.

Même après coup, certains tentent de trouver une autre explication. Elle reste la plus crédible puisque le phénomène s’est déjà produit en Bretagne.

C’est, je crois, la leçon à retenir de cette soirée : rien ne sert de courir, il faut partir à point. Ce sera toujours l’atout des journalistes professionnels sur la masse de tous ceux qui se prétendent leur égal : s’ils n’entendent pas les explosions avant les autres, ils ont l’immense avantage de posséder un petit carnet, avec plein de numéros de téléphone dedans. Et ils restent bien plus crédibles aux yeux du public, fort heureusement, que le tweet du premier imbécile venu, qui est très difficile à séparer du tweet fiable.

La deuxième leçon, que je retiendrai en tant que journaliste, c’est celle-ci : le temps qu’on passe à vérifier une info, et qu’on croit perdu, il ne l’est pas. Car il permet de prendre du recul. Nous autres, qui travaillons pour des médias traditionnels, on aimerait bien donner l’info plus vite. Tout de suite. L’expérience montre qu’attendre une demi-heure, une heure, voire deux ou trois heures, est rarement une mauvaise idée.

21 Commentaires

Classé dans Médias/journalistes

21 réponses à “Twitter et Facebook, c’est bien mais ça va trop vite

  1. pourquoisecompliquerlavie

    J’ajouterai même qu’attendre un mois permet souvent de ne garder que ce qui est intéressant… L’info au jour le jour, c’est aussi le grossissement artificiel par le prisme de la nécessité.

    Un ami journaliste me racontait un jour une histoire significative. La fille d’un rédac chef demande à son père : dis papa, comment fais-tu pour avoir tous les jours juste assez d’informations pour remplir ton journal ?

    Une autre qui ma été présentée comme vraie mais que je n’ai pas vérifiée : un journal américain a annoncé la mort de Victor Hugo. Puis le lendemain un démenti. Victor Hugo était touours vivant. Deux ans plus tard VH est mort et le même journal titrait alors : Nous avons été les premiers à vous l’annoncer, Victor Hugo est mort.

    Vraies ou pas, ces deux histoires résument parfaitement l’essence même de la presse. Ecrite, orale et aujourd’hui la transmission internetesque de l’info. Trouver DES nouvelles, les transmettre.

    Facbook, twitter et les blogs ont d’ailleurs les mêmes problèmes d’audience que les journaux normaux : chacun compte ses lecteurs, ses followers et le nombre d’adhérents à ses groupes. Et dans tous les cas, il y a une tentation très forte d’être le premier … à causer.

    PS : je ne suis pas journaliste, j’ai un blog, un compte FB et un compte Twitter.

  2. Je suis d’accord avec toi sur la vitesse de l’info. Twitter et Facebook sont des réseaux sociaux puissant et très rapide.

    La chose à ne pas oublier c’est que les 1er journalistes sont en réalité la population : c’est quand il se passe quelque chose d’étrange que les médias fouillent pour pondre un article.

    Hier on ne savait pas ce que c’était. Effectivement la thèse (quasi certaine) de l’avion trop rapide fait sourrir, mais qu’en serait il si nous étions face à une catastrophe bien réelle ? Aurait on critiqué la vitesse de propagation de ces même réseaux ?

  3. @freeman

    La vitesse de propagation de l’info ne fait pas la vitesse d’intervention des secours… ça n’aurait donc rien changé. Et les médias traditionnels auraient été avisés, en cas de catastrophe, par leurs sources habituelles…

    Mais je ne jette pas tout : en effet, Twitter sert de caisse de résonnance, et en l’occurrence, elle est utile pour prendre conscience de l’ampleur d’un phénomène : ici, on a clairement vu que de très très nombreux Nordistes avaient entendu le « boum », et pas seulement deux ou trois illuminés. Donc dans ce sens, c’est positif…

    @PSCLV

    L’intérêt de l’info, sa durée de vie, c’est encore un autre débat… là on est plus sur la fiabilité.

    Il faut atteindre un juste équilibre : si je donne l’info au bout de cinq minutes, sur une explosion, je risque de me planter. Si je la donne une semaine après, aucun intérêt!

  4. Je suis d’accord, seulement jusqu’à aujourd’hui a part le téléphone vers les services de secours on ne connaissait rien. Twitter est un service qui émerge et qu’il faut prendre en compte, a la différence c’est que le message passé est public alors que les personnes qui appellent les services comme les pompiers sont plus du type privé …

    Après ce que je regrette c’est que certains ont commencé à parler de n’importe quoi : des flammes à Wazemmes, une explosion d’immeuble à Ronchin alors qu’ils n’ont pas été voir par eux meme !

  5. Momo

    Bravo ! Une jolie leçon à tous ses bloggers arrogants qui croient réinventer aujourd’hui le journalisme. Mais le sérieux, la vérification, et le contradictoire sont les éléments qui feront que les journalistes auront toujours une supériorité sur les adpetes du Web 2.
    En revanche, et là c’est plus inquiétant, les médias traditionnels utilisent de plus en plus ces nouveaux flux comme source d’informations à la manière de dépêches d’agences…

  6. @freeman

    Les pompiers ne donneront jamais une info a un inconnu. Cette affaire montre qu’il a fallu attendre les infos rapportes par des journalistes pour sortir de la rumeur.

  7. Bien sur, on peut s’arrêter à cet exemple, malheureux, et, partant, tirer toutes les conclusions sur le fait que l’info n’est pas « bonne » sur Twitter. Je serai assez d’accord avec vous sur Facebook, qui ne me semble pas « sérieux » de ce point de vue, mais c’est peut être aussi parce que je ne l’utilise pas pour cela 🙂
    Je pense surtout que Twitter est ce qu’on en fait. C’est au « récepteur » de se faire sa propre info, de la recouper, etc. Il faut donc avoir le bon réseau, avec les « bons » réactifs. Pour ma part, je n’ai pas validé le boum lillois hier, car si cela avait été « grave », des images seraient arrivé vite sur Twitter ou sur les médias traditionnels. Voire l’effondrement de l’immeuble à Liège pour s’en convaincre.
    Mais comme dirait Montaigne et les dissertes de 1ère : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » 😉

  8. @franpi

    Il ne s’agit pas de dire que twitter, c’est nul. Vous avez raison de dire que cela depend de l’usage qu’on en fait.

    Ce qui m inquiete, ce sont ces ados qui l’utilisent comme un chat geant, et qui ne prennent aucune precaution avec ce qu’ils disent. Le problème, c’est aussi Metro qui relaie des inepties.

    Moi, twitter, je l’utilise plutot comme un instrument de veille, comme un agregateur de contenus…

  9. Je suis d’un naturel optimiste. Le chat géant ne me semble pas si mauvais. Moi-même, parfois… 🙂
    Plus globalement, je pense que c’est un outil qui peut permettre de venir à la veille, justement.

  10. Il ne faut pas oublier une catégorie importante de la population: celle qui, mardi soir, a ressenti ou entendu l’explosion (c’est ce à quoi j’ai pensé) et a continué à faire des trucs vachement plus intéressants que s’intéresser à ce boum et l’a oublié dans les trente secondes qui suivent. C’est mal? C’est un péché anti-médiatique?

  11. doc

    Super info que personne n’a songé à relever: Nord -Eclair plus réactif que la Voix du Nord , bravo à ses valeureux journalistes !

  12. lol

    Magnifique d’enfoncer de si belles portes ouvertes.

  13. Max232

    « Super info que personne n’a songé à relever: Nord -Eclair plus réactif que la Voix du Nord , bravo à ses valeureux journalistes »

    à 10 mn près, y a pas vraiment de quoi gonfler le torse.

  14. doc

    Y en a qui accèdent difficilement au second degré …

  15. Autrefois, quand l’information était principalement véhiculée par la parole, elle circulait à la vitesse du son.
    Depuis l’irruption d’internet elle circule à la vitesse de la lumière.
    Pas étonnant qu’un avion traversant le mur du son, jette un certain trouble chez ceux que l’explosion d’un pétard un soir de 14 Juillet suffit à terroriser ….

  16. Si seulement les journalistes ou bien ceux qui se prétendent être journalistes, avec ou sans carte pro., pouvait te lire …

    C’est beau de rêver

  17. Obi-Wan Kenobi

    @ Freeman :
    « Le premier journaliste, c’est la population. » Je pense que vous faites une confusion entre les sources d’information et celui qui est chargé de transmettre les infos, c’est-à-dire le journaliste. La population est la première source d’info. Charge ensuite au bonhomme qui est payé pour ça de vérifier, recouper, assurer le contradictoire AVANT de transmettre l’info.
    Je pense que le Chafouin, dans son billet, ne fait rien d’autre que de nous mettre en garde contre l’utopie d’un monde où tout le monde serait journaliste et informerait tout le monde. Et ce gratuitement bien sûr. Une info fiable et vérifiée a un coût, qui comprend le salaire de journalistes professionnels. Si c’est ce que l’on souhaite, il faut accepter ce coût (ce qui ne dispense pas les journalistes pros de toute critique bien entendu).

    @ didier specq :
    J’avais cru comprendre sur le blog d’Aliocha que tu étais en permanence sur le terrain !
    Mais en fait non, il eût fallu que ce « boum » se retrouve cité à comparaître pour que cela devienne ton affaire. 😉
    Provocation à part, qui a parlé de péché anti-médiatique ici ? Ceci étant dit, il y avait d’excellents épisode de Dr House mercredi soir et, après m’être assuré que les maisons de mes voisins étaient toujours debout, je n’ai pas eu le réflexe d’alerter ma rédaction ni de me connecter sur Twitter ou Face de bouc. J’ai regardé la fin de l’épisode et je me suis endormi sur mes deux oreilles en me disant : sûrement un de nos hommes politiques locaux qui a franchi le mur du çon.

  18. @Didier specq

    Mais non, ce n’est pas un péché… Qui a osé prétendre cela, que je l’estourbisse?

    @lol

    Quelles portes?

  19. Mais… Twitter a-t-il une fonction à la base ? Ou est-ce que les usagers de Twitter sont en train (ou ont l’illusion) de forger un outil d’information exceptionnel (encore un… soupir) ?

    Certes, l’outil Twitter est très réactif. Mais ceux qui l’utilisent, pour la plupart, sont juste bien au chaud dans leur salon et relayent des infos piquées dans les autres médias ou visibles de leur fenêtre, ce qui manque un peu d’ouverture sur le Monde, non ?

    Ceci dit, je n’utilise absolument pas Twitter, pas même en voyeuse, donc je ne doute pas que certaines subtilités m’échappent.

    Je me pose juste la question de savoir quelle information serait suffisamment cruciale pour changer quelque chose à mon comportement, si je la recevais le soir à 22.36 ou le matin au flash de 8.00… La rapidité est-elle plus importante que la fiabilité ? Pour moi (et je pense, pour des millions de gens non-Twitter), la réponse est non.

  20. @lafemmedesteppes

    Twitter peut avoir aussi une utilité. Vosu pouvez regarder uen émission politique et en même temps lire les commentaires sur twitter… 😉

    EN fait, chacun a sa propre utilisation de twitter. Chacun se construit son twitter. Moi, j’utilise ce service comme un « rabatteur » d’infos. Je sais qu’en suivant tel ou tel, ils vont lire pour moi tel ou tel journal en ligne et me faire un petit résumé… C’est juste une grande foire de partage d’infos. Encore faut-il garder la mesure et ne pas prendre ses utilisateurs pour ce qu’ils ne sont pas : des journalistes.

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