DailyNord : « On ne veut pas être une alternative, mais plutôt un complément »

L’expérience de « pure-player » régional initiée par le site dailynord.fr m’intéresse à double titre : en tant que blogueur, et en tant que journaliste local. Les médias papiers, et en particulier la presse quotidienne régionale, sont-ils condamnés à une mort lente? Le web peut-il être une solution de repli, et existe-t-il un modèle économique viable? L’un des fondateurs du site, Nicolas Montard, a accepté de répondre à quelques questions sur ces thèmes et sur la position de DailyNord dans le paysage médiatique régional. Merci à lui d’avoir joué le jeu.

Pourquoi avez-vous pris la décision de créer Dailynord.fr, en février 2009 ?

Nicolas Montard : Avec mon compère Christophe Demay, on est tous les deux des anciens de presse quotidienne régionale, il a travaillé à Nord éclair et moi à Nord éclair et la Voix du Nord. On était un peu à la croisée des chemins et on avait envie de monter autre chose, de partir sur un autre support, sur d’autres formes d’écriture plus « magazine », de fournir un autre regard sur l’actualité. On est parti sur l’idée de créer un site web, et on a fondé une association, car on savait qu’on ne gagnerait pas d’argent tout de suite, et que créer une entreprise, c’était lourd. Et puis, on ne voulait pas perdre de l’argent avant d’en gagner. On a un peu tâtonné, au début. En pure-player régional, on est parmi les premiers donc on n’avait pas trop de retours d’autres expériences similaires. On s’est donc donné un an pour créer du contenu, pour voir ce que ça donnait et comment on pouvait évoluer.

Cette année est largement achevée. L’audience est-elle au rendez-vous? Le modèle économique est-il viable? Quels sont les premiers retours?

N.M. : On a donc soufflé notre première bougie, et on est plutôt satisfaits, même si on est encore humbles : on est à 50 000 visiteurs par mois en moyenne. Les premiers retours sont plutôt bons. On touche un public, on a des fidèles. On a commencé à décoller et à se faire connaître au mois de novembre dernier. On a eu une bonne série d’articles qui ont buzzé, sur le jeu « Paf le chien », sur le piston du fils de Bernard Derosier (1)… Cela nous a fait franchir un cap. On cherche maintenant à un passer un second.

Les journalistes qu’on croise sur le terrain nous encouragent. Certains nous disent même qu’ils nous envient de pouvoir faire ce qu’on veut! Mais ce n’est pas toujours le cas : chez TF1, où certains avaient été vexés par un sujet sur les clichés entretenus sur la région, nous ont traités de blogueurs en mal de carte de presse! Sauf qu’on l’a, la carte… Pareil pour certaines sources, qui nous prennent parfois pour des idiots. On comprend les réticences liées au web, au fait qu’on ne soit pas très connu… Mais l’accueil est globalement bon.

Le modèle économique, lui, n’est pas encore stable. On réfléchit à une transformation en entreprise. L’idée serait de jongler entre la pub, qui fait peu à peu son apparition, et sur la vente de contenus à d’autres journaux. On a déjà un partenariat avec l’édition nordiste de Téléstar, Bakchich… Le site rapporte peu d’argent, mais il n’en coûte pas. Et nous, on vit avec nos piges extérieures.

Comment faites-vous pour gérer le site en plus de vos piges?

N.M. : On travaille deux fois plus… On n’a pas de locaux donc on fait ça de chez nous, entre Hazebrouck et Roubaix, donc nos conférences de rédaction, c’est par téléphone. On passe des heures ensemble au bout du fil, à discuter des sujets, à échanger nos avis… Et puis en effet, on fait nos reportages en plus de ceux grâce auxquels on gagne notre vie… On essaie de se débrouiller pour faire tourner régulièrement la « une » et de faire en sorte que le contenu bouge. C’est indispensable.

Il paraît qu’on vous reproche parfois d’être des journalistes de bureau, planqués derrière vos ordinateurs…

N.M. : On fait du terrain aussi souvent qu’on peut. Mais on ne le fait que si ça apporte quelque chose. On peut faire beaucoup de choses par téléphone, il n’est pas toujours nécessaire de se déplacer. Je préfère consacrer toute une journée à passer du temps avec quelqu’un, comme on l’a fait quand on a réalisé le portrait de ce facteur qui livre le courrier en barque, dans les marais de l’Audomarois… Là, ça vaut le coup.

Parlons du contenu. Quelle est la philosophie de DailyNord?

N.M. : Elle est expliquée dans notre charte. L’idée, c’est de faire quelque chose de différent de ce qui se fait ailleurs. Quelque chose d’original. On n’est pas là pour concurrencer les « grands médias », la Voix du Nord, France 3 ou Nord éclair, d’une part on n’en a pas les moyens, et d’autre part, ils le font plutôt bien. Sans eux, on n’existerait pas : ce sont souvent les médias installés qui nous fournissent la matière première, qui est l’info brute. On ne veut pas être une alternative, mais plutôt un complément.

L’idée, c’est qu’on essaie de ne pas avoir de sujet imposé. On n’a pas vocation à informer nos lecteurs de tout ce qui se passe, car en effet, les médias traditionnels le font déjà. Et puis la plupart du temps, on n’a pas envie d’écrire sur les mêmes sujets. Notre philosophie est donc toujours de se demander comment on peut traiter le sujet autrement. Par exemple, sur les migrants, on ne savait pas bien comment parler de la jungle, des problèmes que ça pose, du sort des clandestins. On a donc décidé de faire des sujets au long cours, d’écrire des articles longs, de suivre des destins individuels. C’est une forme qu’on peut utiliser sur le web, car on n’a pas de contraintes de place. Pour le mouvement social chez Total, à Dunkerque, on a couvert l’événement uniquement en photo

Pour le reste, on ne va jamais aux conférences de presse, on ne fait pas « d’agenda ». On ne veut surtout pas se forcer, car si on le faisait, le lecteur s’ennuierait… Et en tant qu’anciens journalistes de PQR, on savait très bien ce qu’on ne voulait plus faire, et ça en faisait partie. Après, on ne se prend pas la tête et on ne prétend pas faire mieux que les autres. On a une rubrique qui s’appelle « petites histoires », une autre « la carte du petit banditisme », sur les pieds nickelés des faits divers, ça ne casse pas forcément des briques, mais ça peut être sympa à lire, comme ça, en passant…

Vous dites que les médias locaux font bien leur travail, et en même temps, il vous arrive régulièrement de les égratigner…

N.M. : On a en effet un regard critique, c’est certain. On aimerait parfois, en tant que lecteurs, que la presse régionale sorte un peu de son carcan et ne parle pas toujours des mêmes sujets. Mais c’est valable aussi pour les nationaux. L’autre jour, j’avais acheté les trois journaux principaux, Le Monde, Libé, le Figaro, j’ai eu le sentiment de lire peu ou prou trois fois la même chose. Récemment, la Voix du Nord et Nord éclair ont tous les deux fait leur « une » sur la folie de la carte postale. Qui y croit, sérieusement? Et puis, de manière générale, on trouve que les journaux régionaux suivent trop l’agenda, c’est souvent le règne de la com’. Et en même temps, je le répète, on n’est pas là pour donner des leçons de journalisme. Si ces journaux n’étaient pas là, qui les remplacerait? La critique, on ne veut pas que ce soit quelque chose de systématique chez nous. Surtout qu’on trouve qu’il y a aussi beaucoup de bonnes choses. Mais qui ne sont pas forcément toujours très bien mises en valeur. On trouve parfois des pépites dans des éditions locales, qui auraient mérité les premières pages!

Pensez-vous qu’internet puisse être une voie de repli pour des journaux qu’on annonce souvent bons pour la morgue?

N.M. : C’est le payant qu’on va avoir du mal à maintenir. Personnellement, je n’achète quasiment plus la presse régionale ou nationale quotidienne. Je m’informe sur internet : tout est gratuit, ou presque. Un abonnement à un quotidien, pour beaucoup de gens, c’est devenu trop cher. Et encore une fois, beaucoup de choses sont gratuites sur internet. Le seul problème, c’est le modèle économique. Je ne crois pas qu’on l’ait encore trouvé. En tout cas, si la presse payante veut s’en sortir, elle sera obligée de s’orienter vers d’autres contenus. Il faut aussi que les journalistes changent leur manière de voir les choses. Dans un style particulier, je lisais récemment la revue So Foot : c’est dingue comme ils ont su modifier le genre. On lit des interviews fleuves de footballeurs qui disent des tas de choses intéressantes. J’en ai lu une d’Hatem Ben Arfa, je n’aurais jamais pu voir ça dans France Football!

Qu’est-ce qu’internet a changé à votre manière d’appréhender votre travail de journaliste?

N.M. : C’est un autre boulot! Sur internet, il faut aller très vite. Le but est d’être le premier dans Google actu. L’avantage, c’est que tu vois tout de suite ce qui marche et ce qui ne marche pas. Après une semaine moyenne au niveau contenu, tu vois la sanction tout de suite en termes d’audience. Alors que pour un journal papier, suivre les ventes et les analyser « en direct » n’est pas évident. Nous, on a les stats pour chaque article. On s’aperçoit qu’il faut être très percutants sur les titres, et apporter un contenu vraiment régional, tout en apportant quelque chose d’original.

Le risque n’est-il pas de basculer dans la facilité, pour plaire au plus grand monde?

N.M. : C’est clair que certains sujets fonctionnent à coup sûr. Les best-of du petit banditisme, ça  marche. Le portrait qu’on a fait d’une actrice porno de la région a aussi très bien marché. Mais ça ne nous empêche pas de faire une série sur les agriculteurs. De parler de fond. Parfois on sait qu’avec tel ou tel article on ne va pas faire d’audience, mais c’est un parti pris.

Vous parlez souvent de Christian Vanneste, le député UMP de Tourcoing. Vous êtes fans?

N.M. : C’est sûr qu’on parle plus de lui que d’autres. On n’est pas d’accord avec tout ce qu’il dit, et pas toujours en désaccord d’ailleurs, mais il a souvent le mérite de l’ouvrir. Au niveau national, il est invité partout. Mais on a d’autres chouchous, comme le député Patrick Roy dont on a aussi beaucoup parlé.

(1) Président du conseil général du Nord.

2 Commentaires

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2 réponses à “DailyNord : « On ne veut pas être une alternative, mais plutôt un complément »

  1. Dudule

    Très vrai sur la carte postale… Ce genre de sujets dont tout le monde s’en fiche, ça creuse la tombe de la PQR…

    Par contre sur Vanneste, je trouve que Daily Nord mériterait d’être beaucoup plus clair. Pour ma part j’ai été très gêné par rapport aux articles publiés: Vanneste dérape et sur le site, vous écrivez en substance qu’il dérange, secoue le cocotier… Pas vraiment la même chose. Du coup, on se demande pour qui roule DailyNord, et ce point n’est vraiment pas clair, d’autant plus que Vanneste bénéficie de fait d’une surexposition sur votre site, beaucoup plus que Roy que vous citez dans votre interview…

  2. Pour répondre à Dudule sur le « cas Vanneste » et être « beaucoup plus clair » : DailyNord ne roule pour personne, ni pour Vanneste, ni pour Roy, ni pour aucun politique de la région (tous les bords ont plus ou moins été épinglés). Si on parle plus souvent de lui, c’est qu’il est un spécialiste pour déclencher la polémique. Et comme c’est un député nordiste, cela justifie qu’on en parle plus qu’un autre qui fait moins de bruit. Tout simplement (et si un député, d’un autre bord, mérite notre attention, n’hésitez pas à nous le signaler !).

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